Numéro d’inscription au répertoire général : 04/18300
Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 Mai 2004 -Tribunal de Grande Instance de PARIS -RG n°03/05891

APPELANTE

Société BELLURE NV

(…)

INTIMEES

S.A. L’OREAL
SNC PARFUMS CACHAREL
S.N.C. PARFUMS RALPH LAUREN
S.A.S. PARFUMS GUY LAROCHE

Arrêt :

  • contradictoire ;
  • prononcé publiquement par Monsieur Alain CARRE-PIERRAT, Président ;
  • signé par Monsieur Alain CARRE-PIERRAT, président et par Mme Jacqueline VIGNAL, greffier présent lors du prononcé.

(…)

Sur la contrefaçon des droits d’auteur

Considérant que la société BELLURE critique les dispositions du jugement entrepris relatives à la protection des fragrances par le droit d’auteur ;

Qu’à cet effet, elle expose que la liste non exhaustive de l’article L. 112-2 du Code de la propriété intellectuelle n’envisage que des œuvres accessibles à l’ouïe ou à la vue et ne cite aucune œuvre accessible à l’odorat ou au goût ;

Qu’elle fait valoir qu’une fragrance, de la même manière qu’un goût, demeure insusceptible d’être décrite de manière objective et intelligible par tous et que, si elle peut avoir un résultat esthétique, elle reste une invention à caractère technique qui remplit les conditions de brevetabilité posées par l’article L. 611-10 1° du Code de la propriété intellectuelle ;

Mais considérant, d’une part, que l’article L. 112-2 du Code de la propriété intellectuelle ne dresse pas une liste exhaustive des œuvres éligibles au titre du droit d’auteur et n’exclut pas celles perceptibles par l’odorat ; qu’en outre, aux termes de l’article L. 112-1 du même code, sont protégées les droits des auteurs sur toutes les œuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination ;

Considérant, d’autre part, que la fixation de l’œuvre ne constitue pas un critère exigé pour accéder à la protection dès lors que sa forme est perceptible ;

Qu’une fragrance, dont la composition olfactive est déterminable, remplit cette condition, peu important qu’elle soit différemment perçue, à l’instar des œuvres littéraires, picturales ou musicales ;

Considérant, enfin, qu’à supposer même qu’un parfum remplisse les conditions de brevetabilité, en apportant une solution à un problème technique, la protection par le droit des brevets n’est pas exclusive d’une protection au titre du droit d’auteur ;

Qu’un parfum est donc susceptible de constituer une œuvre de l’esprit protégeable au titre du livre I du Code de la propriété intellectuelle, dès lors que, révélant l’apport créatif de son auteur, il est original ;

Considérant que la société BELLURE prétend à tort que les œuvres revendiquées par les sociétés intimées ne sont pas identifiées ;

Que le rapport d’analyse réalisé par Pierre BREEZE, conseil en propriété industrielle, régulièrement versé aux débats, fournit la liste des composants olfactifs de chacune des fragrances revendiquées ; qu’en outre, les sociétés intimées caractérisent l’architecture olfactive de chaque fragrance ainsi que le sillage floral, vert, boisé, fruité, vanillé, ambré, poudré, épicé du bouquet final ;

Que la société BELLURE ne produit aux débats aucun élément, voire une analyse chromatographique, pour démontrer que les fragrances des douze produits invoqués par les intimées seraient banales et appartiendraient à l’industrie du parfum, sans pouvoir identifier une composition olfactive appropriable ;

Que l’existence de familles de parfums n’exclut pas que les fragrances qui s’y rattachent, par l’emprunt de leurs composants dominants, soient protégeables, dès lors qu’elles sont le fruit d’une combinaison inédite d’essences dans des proportions telles que leurs effluves, par les notes olfactives finales qui s’en dégagent, traduisent l’apport créatif de l’auteur, ce qui est le cas en l’espèce ;

Qu’il s’ensuit que les fragrances commercialisées sous les dénominations suivantes :

  • TRESOR
  • MIRACLE
  • ANAÏS ANAÏS
  • NOA
  • ROMANCE pour femme et pour homme
  • ACQUA DI GIO
  • GIO
  • ACQUA DI GIO pour homme
  • EMPORIO ARMANI IL et ELLE
  • DRAKKAR NOIR

identifiables par leur architecture olfactive, doivent bénéficier de la protection par le droit d’auteur ;

Considérant qu’il ressort du rapport d’analyse établi par le Cabinet BREEZE-MAJEROWICZ, conseil en propriété industrielle, qui a procédé à l’analyse sensorielle et physico-chimique des parfums ci-dessus désignés et des produits argués de contrefaçon, que les parfums dénommés “PURE CLASS MEN” et “PURE BLACK” de la société BELLURE et respectivement “EMPORIO” de la société PRESTIGE ET COLLECTIONS INTERNATIONAL et “DRAKKAR NOIR” de la société PARFUMS GUY LAROCHE étaient sur le plan olfactif très proches et que les parfums “LA VALEUR” de la société BELLURE et “TRESOR” de la société LANCÔME, d’une part, “ARRIVEDERCI” de la société BELLURE et “ACQUA DI GIO”- pour homme- de la société PRESTIGE ET COLLECTIONS INTERNATIONAL présentaient des différences olfactives significatives au seuil statistique de 5 % ; que les sachants relèvent que pour tous les autres couples de produits les différences olfactives sont très significatives tout en observant que des tests triangulaires ont mis en évidence qu’elles sont moins importantes que des différences entre parfums appartenant à une même famille olfactive ;

Considérant que le jus des parfums PURE CLASS MEN, PURE BLACK, LA VALEUR et “ARRIVEDERCI DUE” constituent donc respectivement la contrefaçon des parfums “EMPORIO”, “DRAKKAR NOIR”, “TRESOR” et “ACQUA DI GIO” pour homme, ce qui n’est pas sérieusement contesté par la société BELLURE ;

Considérant que s’agissant des jus “PINK WONDER” de la société BELLURE et “MIRACLE” de la société LANCOME, l’analyse sensorielle révèle que 77 % des femmes soumises aux tests estiment les jus “proches”, 8 personnes sur 10 mentionnant une très forte proximité ; que l’analyse physico-chimique montre que la composition des deux produits est extrêmement proche, 26 des 30 constituants odorants du parfum original se retrouvant dans le parfum “PINK WONDER” ;

Que ce choix des composants n’est pas fortuit alors qu’un rapprochement entre les deux jus est réalisé sur les sites Internet présentant les produits de la société BELLURE, sans que celle-ci ne justifie s’y être opposée ;

Que le parfum vendu sous la dénomination “PINK WONDER” contrefait donc la fragrance du produit “MIRACLE” de la société LANCÔME ;

Considérant que 75 % des personnes testées ont estimé que le parfum commercialisé par la société BELLURE sous la dénomination “NICE FLOWER” était proche du parfum “ANAÏS ANAÏS” de la société PARFUMS CACHAREL ;

Que l’analyse physicochimique relève que 87% des composants se retrouvent dans les deux jus, son rédacteur estimant ce taux de corrélation exceptionnellement élevé ;

Que comme précédemment observé, une correspondance entre les deux produits est établie sur les sites Internet assurant la promotion des parfums LAMIS ;

Que les faits de contrefaçon sont ainsi suffisamment caractérisés ;

Considérant que selon l’analyse sensorielle, 79 % des consommatrices interrogées soulignent le caractère proche des parfums “SWEET PEARL” de la société BELLURE et “NOA” de la société PARFUMS CACHAREL, l’analyse physico-chimique établissant que 18 des 19 constituants odorants du parfum “NOA” sont présents dans le second ;

Que les deux parfums sont également rapprochés sur les extraits de sites Internet communiqués ;

Que le parfum dénommé “SWEET PEARL” constitue donc la contrefaçon du parfum “NOA” ;

Considérant que 74 % des consommatrices interrogées ont estimé proches les parfums “CHEEK TO CHEEK” pour femme et “ROMANCE” pour femme de la société PARFUMS RALPH LAUREN ; que la société BELLURE ne conteste pas que 50 des composants du parfum original sur 52 sont utilisés dans le parfum “CHEEK TO CHEEK” ;

Que s’agissant de la comparaison des parfums “CHEEK TO CHEEK” pour homme et “ROMANCE” pour homme, 71 % des consommateurs interrogés ont relevé une forte proximité entre les jus ;

Qu’il résulte de l’analyse physico-chimique que les 28 constituants du parfum “ROMANCE” sont présents dans le produit “CHEEK TO CHEEK” ;

Que pour les deux produits incriminés, une équivalence est mis en évidence sur les sites internet ;

Que la contrefaçon des parfums “ROMANCE” homme et femme par les parfums “CHEEK TO CHEEK” homme et femme doit donc être retenue ;

Considérant qu’au cours des tests, 71 % des femmes ont retenu une très forte proximité entre les parfums “ARRIVEDERCI” de la société BELLURE et “GIO” de la société PRESTIGE ET COLLECTIONS INTERNATIONAL” ;

Que par ailleurs, comme pour les produits précédemment examinés, le parfum “ARRIVEDERCI” est présenté sur les sites Internet comme l’équivalent du parfum “GIO” de Giorgio ARMANI ; que les faits de contrefaçon sont donc établis ;

Considérant qu’une très forte proximité a également été soulignée par 73% des femmes interrogées entre les produits “ARRIVEDERCI DUE” de la société BELLURE et “ACQUA DI GIO” de la société PRESTIGE ET COLLECTIONS INTERNATIONAL”, les enseignements de l’analyse physico-chimique mettant en évidence une corrélation entre 47 des 50 composants du parfum “ACQUA di GIO” dans le second ;

Qu’une équivalence entre les deux produits est relevée sur les sites internet ;

Considérant qu’en introduisant ces parfums sur le marché français, la société BELLURE a donc porté atteinte aux droits d’auteur dont les intimées sont investies sur ces fragrances ;

(…)

PAR CES MOTIFS

(…)

Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu’il a :

  1. débouté les sociétés L’OREAL et LANCÔME de leur action en contrefaçon des marques “TRESOR” et “MIRACLE” et en contrefaçon du modèle international N°035 521,
  2. rejeté l’action en contrefaçon artistique des fragrances,
  3. rejeté la demande de confiscation,

Le réformant sur ces points et statuant à nouveau,

Dit que la société BELLURE a commis des actes de :

  1. contrefaçon artistique des fragrances des parfums :
  • TRESOR
  • MIRACLE
  • ANAÏS ANAÏS
  • NOA
  • ROMANCE pour homme et pour femme
  • ACQUA DI GIO
  • GIO
  • ACQUA DI GIO pour homme
  • EMPORIO ARMANI IL et ELLE
  • DRAKKAR NOIR

en commercialisant les produits dénommés respectivement “LA VALEUR”, PINK WONDER”, “NICE FLOWER”, “SWEET PEARL”, “CHEEK TO CHEEK”pour homme et femme, “ARRIVEDERCI DUE”, “ARRIVEDERCI”, “ARRIVEDERCI” HOMME”, “PURE CLASS” HOMME et FEMME et “PURE BLACK”,

(…)

Se réserve la liquidation des astreintes, condamne la société BELLURE NV à payer (…) 80.000 euros par fragrance à titre de provision à chacune des sociétés L’OREAL, LANCÔME PARFUMS ET BEAUTE & CIE, PRESTIGE ET COLLECTIONS INTERNATIONAL, PARFUMS CACHAREL, PARFUMS RALPH LAUREN, PARFUMS GUY LAROCHE à titre de provision à valoir sur le préjudice subi du fait des actes de contrefaçon ;

Etendant la mission de l’expert désigné, dit qu’il fournira tous éléments permettant de déterminer le préjudice subi par les sociétés intimées du fait des actes de contrefaçon des 12 fragrances (…)

Rejette le surplus des demandes,

Condamne la société BELLURE à payer aux sociétés L’OREAL, LANCÔME PARFUMS ET BEAUTE & CIE, PRESTIGE ET COLLECTIONS INTERNATIONAL, PARFUMS CACHAREL, PARFUMS RALPH LAUREN, PARFUMS GUY LAROCHE, la somme globale de 120.000 euros sur le fondement de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile,

Condamne la société BELLURE aux dépens qui pourront être recouvrés conformément à l’article 699 du nouveau Code de procédure civile.


  • Doctrine : RLDI, n°16 p. 19, obs. Benoît Humblot