Alors que la loi DADVSI sera promulguée - et abondamment commentée - dans les prochains jours, un petit retour sur l’un de ses articles les plus confidentiels illustre combien l’empressement législatif est de bon conseil, le débat sur la loi DADVSI ayant en effet donné naissance à un sous-amendement aux motivations pavées de bonnes intentions :

la diffusion électronique des œuvres offre aux artistes des possibilités nouvelles de promotion, parallèlement, elle permet un large accès à la culture pour les internautes d’horizons différents. Les jeunes artistes doivent conserver la liberté de créer leur propre site de diffusion de leurs œuvres, pour se faire connaître d’un public le plus large possible.

C’est par ces termes qu’une poignée de députés a justifié la création d’un nouvel article L. 131-8-1 dans le code de la propriété intellectuelle, suivant lequel « l’auteur est libre de choisir le mode de rémunération et de diffusion de ses œuvres ou de les mettre gratuitement à la disposition du public ». Le CPI permettant d’ores et déjà aux auteurs de diffuser leurs œuvres gratuitement, l’intérêt d’un tel texte a semblé a priori limité[1], sinon nul. En revanche, compte tenu de sa rédaction, l’amendement est susceptible, paradoxalement, d’amoindrir le degré de protection déjà prévu par la loi au bénéfice des auteurs.

En effet, pour mémoire, les articles L. 131-1 et s. du CPI, régissant les règles générales applicables à toute cession de droits d’auteur, énoncent des exigences de forme ou de fond ayant pour vocation de protéger le créateur, afin que ce dernier soit clairement informé des droits qu’il cède et qu’il soit, par principe, associé aux recettes d’exploitation générées par l’œuvre. Or, la cohérence du régime existant pourrait être troublée par la formule proposée par l’amendement, selon laquelle « l’auteur est libre de choisir le mode de rémunération (…) de ses œuvres », la liberté de choix devenant souvent chimérique dans une négociation où l’un des cocontractants est en position de force, tel que le « partenaire » d’un auteur dont la notoriété n’est pas encore établie.

Fort heureusement, avant que le texte ne parvienne au Sénat, la commission des affaires culturelles a supprimé la liberté de choix du mode de rémunération prévue par l’amendement, précisément parce qu’elle pouvait remettre en question, « délibérément ou involontairement », les garanties légales existantes. L’accueil des restes du texte par la chambre haute n’en a pas moins été réservé. Lors de la séance publique du 4 mai, Madame le sénateur Morin-Desailly, a ainsi estimé qu’ « à vouloir trop légiférer, notamment dans ce texte, nous sommes peut-être en train de rendre notre droit inapplicable, de favoriser les contentieux et de créer des problèmes là où il n’y en a sans doute pas », avant de suggérer que l’intégralité du futur article soit supprimée. Et Michel Charasse d’enfoncer le clou, dans des termes parfaitement univoques :

D’abord, ce texte n’ajoute rien aux dispositions du code de la propriété intellectuelle qui définissent le droit de propriété incorporelle exclusif des auteurs et les attributs patrimoniaux de ce droit. Cela suffit à établir que l’auteur peut exploiter ses droits comme il l’entend - c’est tout de même la moindre des choses ! -, y compris en mettant gratuitement, s’il en a envie, ses œuvres à la disposition du public. Mais encore faut-il, pour cela, que l’auteur n’ait pas préalablement cédé à un tiers son droit d’exploitation, auquel cas il ne peut évidemment plus l’exercer lui-même, que ce soit à titre gracieux ou onéreux, ni qu’il doive tenir compte d’un éventuel coauteur. Ensuite, ce texte, inutile à mes yeux, peut être dangereux dans la mesure où il pourrait être interprété comme restreignant la portée des dispositions du code relatives aux conditions de la cession des droits d’exploitation et protégeant le droit des auteurs à une rémunération proportionnelle aux recettes d’exploitation de leur œuvre.

La réponse du Gouvernement, par la voix du Ministre de la Culture, a été, elle, digne du texte initial :

À mes yeux, il est très important de faire preuve de pédagogie vis-à-vis de nos concitoyens (…). Aussi, au moment où l’on adapte - en le refondant - le droit d’auteur à l’ère du numérique, il importe de redire que l’auteur est le pivot du dispositif et que, sous réserve de respecter le droit des tiers, il a le droit et la liberté de diffuser gratuitement son œuvre ou une partie de son œuvre pour se faire connaître ou bien de préférer vouloir vivre de son travail (…). Il ne faut pas avoir honte d’introduire dans un texte des principes intelligibles par l’ensemble de nos concitoyens. Pour autant, j’accepte l’argument selon lequel ces dispositions se trouvent par ailleurs dans d’autres textes législatifs. Néanmoins, vous savez pertinemment qu’on attend d’un projet aussi important, qui sera lu et analysé dans son ensemble, qu’il fixe un certain nombre de principes (…). Il est évident que cet article ne saurait être interprété comme affaiblissant la protection de l’auteur. Il confirme simplement le rôle central de l’auteur, à qui il appartient de choisir, s’il le souhaite, la diffusion gratuite de son œuvre.

Résultat, la loi DADVSI a ajouté un article L. 122-7-1 au Code, selon lequel « l’auteur est libre de mettre ses œuvres gratuitement à la disposition du public, sous réserve des droits des éventuels coauteurs et de ceux des tiers ainsi que dans le respect des conventions qu’il a conclues ».

Aux dires du Gouvernement, l’article L. 122-7-1 serait donc exclusivement pédagogique, et accessoirement symbolique. Bref, il s’agirait d’un outil de communication. Seulement, outre que la vocation première du Parlement ne soit pas de jouer les agences de communication, la durée de vie d’une loi excède de loin celle d’un gouvernement, et ses travaux préparatoires s’oublient d’autant plus qu’ils n’ont aucune valeur normative. A l’inverse de la loi à laquelle ils aboutissent. Certes, on objectera qu’une loi peut n’avoir qu’une valeur indicative. Les articles 1156 et s. du Code civil en sont un exemple. Et l’on rappellera dans la foulée qu’il a fallu que la Cour de cassation se prononce sur l’interprétation à leur donner - et donc qu’une procédure de plusieurs années ait lieu - pour que les justiciables soient informés de leur portée[2], sans d’ailleurs que cette dernière soit clairement établie[3].

Puisqu’un texte législatif a, par nature, des effets juridiques, et que tel ou tel plaideur peut être tenté d’en conférer à celui qui en serait a priori dépourvu, il serait pour le moins funeste qu’une disposition aussi bien intentionnée que le nouvel article L. 122-7-1 se transforme en clause de style fleurissant des les conditions générales d’utilisation des nouveaux services de communication au public en ligne permettant la diffusion des œuvres sur le réseau, par exemple. Une clause aux termes de laquelle, « conformément à l’article L. 122-7-1 du Code de la propriété intellectuelle et au souhait de l’auteur, la société s’engage à mettre les œuvres de ce dernier gratuitement à la disposition du public » pourrait avoir les faveurs de services de la société de l’information, dont le modèle économique repose sur les revenus publicitaires issus des espaces qu’ils proposent, et dont l’attractivité est précisément fonction des contenus qu’ils diffusent. Une telle clause serait-elle valable pour autant ? Rien n’est moins sur, notamment à raison des autres dispositions du CPI, comme de deux siècles de tradition législative et jurisprudentielle en faveur des auteurs. Mais, alors que le régime en vigueur jusqu’à la loi DADVSI permettait déjà d’atteindre l’objectif fixé par ce nouvel article, d’aucuns pourraient être tentés de plaider que ce dernier déroge aux autres dispositions du code, puisque dans le cas contraire, il ne serait d’aucune utilité, et que l’on imagine pas le Parlement légiférer dans le vide…

A l’heure où nombre de professionnels s’accordent sur le fait que la distribution d’exemplaires physiques des œuvres a vocation à disparaître au profit de la distribution numérique, avec une évolution du modèle économique de l’exploitation des œuvres privilégiant notamment les sources de revenus indirectes, prendre le risque d’insérer dans le CPI une disposition susceptible de soustraire ces nouveaux modes de diffusion à la protection accordée de l’auteur par le régime antérieur semble donc très éloigné des déclarations du Ministre de la Culture devant le Sénat. Et quand bien même la pratique révèlerait-elle que ce texte ne présente aucun danger, ce n’est pas parce que l’inutile n’est pas nécessairement préjudiciable qu’il en perd sa nature.

Notes

[1] Art. L. 122-7 : « Le droit de représentation et le droit de reproduction sont cessibles à titre gratuit ou à titre onéreux ».

[2] Civ. 1ère, 6 mars 1979 : Bull. civ. I, n°81.

[3] La question de savoir si tous les articles numérotés 1156 à 1164 n’ont qu’une valeur indicative, ou uniquement le premier d’entre eux, est encore débattue.