La France a - enfin - transposé la directive 2001/29/CE du du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, en promulguant la loi DADVSI le 1er août dernier. Textuellement, l’exception de copie privée existe toujours, l’article L. 122-5, 2° du CPI demeurant intact[1]. Mais le quatrième chapitre de la loi introduit dans le CPI la possibilité pour un ayant droit de recourir à des « mesures techniques efficaces destinées à empêcher ou à limiter les utilisations non autorisées (…) d’une œuvre, autre qu’un logiciel, d’une interprétation, d’un phonogramme, d’un vidéogramme ou d’un programme »[2]. Matériellement, il s’agit de « toute technologie, dispositif, ou composant » permettant d’atteindre ces objectifs[3], et donc notamment de limiter, voire d’exclure que le support sur lequel est fixé une œuvre / une interprétation / un phonogramme, etc., bref, un contenu protégé, puisse être reproduit.

Au nombre des « utilisations non autorisées » qu’un ayant-doit peut souhaiter prévenir figure, en tête de liste, la reproduction d’un support sous forme de fichier numérique, afin de diffuser ce dernier via des services de communication électronique, en particulier internet. Si la seule reproduction matérielle du support est permise par la loi, puisque - selon la lettre de l’article L. 122-5 du CPI - l’auteur ne peut l’interdire, la communication de la copie qui en résulte doit - elle - être autorisée par l’auteur (ou l’ayant-droit), un tel acte étant couvert par le monopole que la loi lui attribue[4]. Or, les mesures techniques de protection permettent matériellement d’empêcher purement et simplement la copie d’un contenu figurant dans un support tel qu’un CD ou un DVD, ou encore un fichier informatique. En prévenant ainsi, en fait, une utilisation non autorisée potentielle (la diffusion de la copie), la mesure technique de protection exclut du même coup la possibilité pour l’acquéreur du support de procéder à une utilisation légale de ce dernier : sa copie à des fins privées.

Face à cette contradiction[5], la loi nouvelle propose une forme de conciliation entre la copie privée et les mesures techniques ayant pour effet de rendre sa mise en œuvre concrètement impossible. Il convient donc de s’intéresser de plus près aux modalités de cette conciliation, avant d’évoquer l’incidence du nouveau régime de la copie privée sur la qualification juridique de cette dernière.

Une exception en peau de chagrin

Le nouvel article L. 331-8 du CPI énonce que le « bénéfice effectif » de la copie privée est garanti par la loi, par le biais de « l’Autorité de régulation des mesures techniques » (ARMT), nouvelle autorité administrative indépendante ayant notamment pour mission de déterminer « (…) les modalités d’exercice des exceptions précitées et (…) le nombre minimal de copies autorisées dans le cadre de l’exception pour copie privée, en fonction du type d’œuvre ou d’objet protégé, des divers modes de communication au public et des possibilités offertes par les techniques de protection disponibles ». Concrètement, l’acquéreur d’un support qui serait mécontent des limites imposées par les MTP lui étant associées devra saisir l’ARMT, laquelle tâchera, dans un délai de deux mois à compter de sa saisine, de concilier les parties, avant – en cas d’échec - de rendre « une décision motivée de rejet de la demande » ou « une injonction prescrivant, au besoin sous astreinte, les mesures propres à assurer le bénéfice effectif de l’exception »[6], chaque partie pouvant présenter un recours - suspensif - contre la décision de l’ARMT, devant la cour d’appel de Paris, sans que cette dernière soit tenue de statuer dans un délai spécifique.

Ceux qui, au vu de la lourdeur de la démarche, préféreraient contourner les MTP plutôt que de présenter leur requête à l’ARMT s’exposeraient à une peine d’amende[7], à condition toutefois qu’ils aient créé un tel dispositif. En revanche, aucune peine spécifique n’incrimine l’utilisateur du dispositif de contournement si celui-ci a été fourni par un tiers. Le cas échéant, ledit tiers risque six mois d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende[8]. Néanmoins, l’utilisateur demeure susceptible d’être poursuivi au titre du droit pénal général, en tant que receleur : cinq ans d’emprisonnement, et 375 000 euros d’amende[9]

En d’autres termes, au-delà d’une (1) copie, à moins que l’ayant-droit en autorise un plus grand nombre, et/ou pour effectuer cette ou ces copies sur un autre support que celui ou ceux autorisés par l’ayant-droit, il incombe désormais à l’utilisateur d’accomplir la démarche quasi-contentieuse de la « conciliation » confiée à l’ARMT. L’on peut dès lors s’interroger sur la proportion d’utilisateurs disposés à prendre le temps et à exposer les frais inhérents à toute procédure pour tenter de se voir reconnaître la possibilité de réaliser une poignée de copies privées d’un DVD, ou l’encodage en mp3 sur leur ordinateur des disques qu’ils se seront vus offrir à Noël prochain : l’utilisateur agissant en bon père de famille estimera sans doute plus rentable d’aller acquérir de nouveaux exemplaires (dans les quantités ou les formats désirés) ; l’utilisateur moins scrupuleux se laissera quant à lui probablement tenter par les offres « alternatives » et illégales de diffusion de contenus, qui sont aussi nombreuses que leur répression est sporadique. Partant, parce qu’elle est ubuesque au regard des enjeux en cause, la procédure garantissant le « bénéfice effectif » de la copie privée que proclame la loi semble plus prompte à inciter ceux des utilisateurs déjà rompus à l’acquisition illicite de contenus à persévérer dans cette mauvaise voie, plutôt qu’à les ramener vers l’offre légale.

Avant la loi DADVSI et en matière musicale, la seule limite apportée à la copie privée tenait aux possibilités techniques du copiste, lesquelles se sont avérées de plus en plus étendues. Initialement cantonnés à des supports de copie de moindre qualité que les supports originaux (les cassettes audio), les copistes ont ensuite pu bénéficier de supports de copie qualitativement équivalents (CD inscriptibles), pour enfin ne plus avoir à se soucier d’un quelconque support matériel (fichiers mp3). En considération de cet essor, la nouvelle loi restreint la faculté de copie privée en reconnaissant la légalité de l’emploi de mesures techniques destinées à la limiter, tout en protégeant leur utilisation par le biais de la loi pénale. L’arbitrage opéré par le législateur prend dès lors des airs de grand écart, passant d’une liberté quasi-absolue à une liberté plus qu’encadrée, sinon surveillée. Une explication de ce grand écart réside peut-être dans l’intention de voir la copie privée disparaître purement et simplement, à moyen terme. En effet, la loi prévoit une exception de taille au principe du « bénéfice effectif » de la copie privée :

Les titulaires de droits ne sont cependant pas tenus de prendre les dispositions de l’article L. 331-9[10] lorsque l’oeuvre ou un autre objet protégé par un droit voisin est mis à disposition du public selon des dispositions contractuelles convenues entre les parties, de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit (Art. L. 331-10)

La « mise à disposition du public » d’un contenu « de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit » n’est autre que la définition légale des nouvelles formes d’exploitation des contenus via les services de communication au public en ligne, aux nombres desquels figure évidemment les plates-formes de téléchargement légal. Or, nombre de professionnels de l’industrie culturelle s’accordent aujourd’hui sur le fait que la distribution d’exemplaires physiques des œuvres a vocation à disparaître au profit de la distribution numérique. Or, si la copie privée peut légalement être exclue du futur mode de distribution principal des contenus, la probabilité que son bénéfice « effectif » devienne chimérique n’est pas négligeable. D’un point de vue sociétal, l’équilibre proposé par la loi DADVSI correspondrait ainsi au début d’une période transitoire amenant progressivement à la disparition de la copie privée, à mesure que l’offre de supports physiques aura été remplacée par celle de fichiers numériques. Le cas échéant, une telle démarche tiendrait compte des habitudes des générations ayant usé - voire abusé - des « K7 » audio et CD (ré)inscriptibles. Les générations postérieures n’ayant, elles, que connu le téléchargement de fichiers gratuits, l’ambition de rendre techniquement impossible la reproduction d’un fichier numérique est probablement vaine, au regard des habitudes d’ores et déjà prises par les consommateurs de demain, sinon d’aujourd’hui. De ce fait, sans doute il y a-t-il lieu de douter que les ayants droit fassent le choix d’une politique de « copie zéro », au moins à court terme, quand l’enjeu est au contraire de proposer une alternative licite et commercialement séduisante au « piratage » opéré par téléchargement.

La qualification de la copie privée

Au regard du régime de la copie privée résultant de la loi DADVSI, il n’est pas exclu que cette dernière nourrisse - volontairement ou non - le débat théorique afférent à la qualification de la copie privée, lequel peut se résumer par une alternative : la copie privée est-elle une exception au droit d’auteur, ou la limite naturelle de ce dernier ?

Selon une première approche, dire que la reproduction et la représentation d’une œuvre sont soumises à l’autorisation de l’ayant droit serait dire, négativement, que toute reproduction et toute représentation non autorisées sont interdites. Orientée vers la matérialité de l’acte plutôt que vers sa finalité, cette analyse confère au monopole reconnu à l’auteur un caractère absolu, sous réserve des exceptions que la loi y apporte, le cas échéant. L’opportunité d’une exception pourra notamment naître d’un conflit entre l’exercice de ses droits par l’auteur, et l’exercice d’une autre liberté individuelle : les exceptions de courte citation, de revue de presse, de caricature, etc. opèrent ainsi un arbitrage a priori entre le droit de propriété reconnu à l’auteur et la liberté d’expression que consacre la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, et qui les fondent.

Apprécier la pertinence d’une consécration législative des MTP commande donc au préalable de savoir si la copie privée a été conçue comme le moyen juridique de la préservation d’un intérêt que l’exercice du droit d’auteur pourrait compromettre. A cet égard, les tenants d’une lecture absolue du monopole ne voient dans cette exception qu’ « une tolérance légale pour un usage dont la difficulté de contrôle est trop grande », ce qui permettrait à l’ayant droit comme au législateur « de revenir sur cette faculté s’il est en mesure d’interdire effectivement cet usage »[11]. Cette exception au monopole relèverait donc d’une tolérance imposée par les faits, aujourd’hui rendue obsolète par le recours aux MTP.

Parce qu’elle valide le principe du recours à de telles mesures techniques de protection tout en assurant leur protection juridique par les foudres de la loi pénale, il est possible de considérer que la loi DADVSI consacre l’analyse faisant de la copie privée une simple tolérance, pour y mettre fin… partiellement, en maintenant un bénéfice effectif de la copie privée pour les seuls exemplaires physiques. Il y aurait là, alors, une recherche d’équilibre entre les attentes des ayants droit - pouvant souhaiter une suppression pure et simple de la copie privée - et celles des « consommateurs », revendiquant le maintien - ou le prolongement, c’est selon - dans l’environnement numérique d’une liberté de copier pour leur propre compte.

A cette lecture s’oppose une autre analyse théorique du monopole reconnu à l’auteur, orientée non pas vers la matérialité des actes que l’ayant droit est en mesure d’autoriser ou d’interdire, mais vers leur finalité. Postulant que le droit d’auteur a comme vertu cardinale la communication de l’œuvre au public, par référence aux définitions légales de la reproduction et de la représentation[12], les actes opérant une copie privée comme la représentation d’une œuvre effectuée « dans un cercle de famille » ne seraient pas des exceptions légales au monopole, mais se situeraient « en dehors » de son champ d’application, faute d’opérer une communication de l’œuvre au public[13]. Suivant cette conception, l’auteur « ne peut interdire » - comme le précise l’article L. 122-5 du CPI - les copies privées, pour la bonne et simple raison que celles-ci ne sont pas couvertes par le droit que la loi lui confère : en faisant référence à la copie privée et à la représentation dans un cercle de famille, la loi n’énonce pas une exception ; elle « rappelle » la limite du monopole, et les seules véritables exceptions sont alors celles applicables dans des cas où, en principe, le droit de l’auteur serait concerné, parce que l’œuvre est effectivement communiquée au public. Ainsi, et pour reprendre l’exemple de la citation, celle-ci implique la communication d’une partie d’une œuvre au public mais ne donne - par exception (légale) - pas prise au droit d’auteur.

Or, en admettant, d’une part, que le nombre de reproductions d’exemplaires physiques à des fins privées soit quantitativement plafonné, et d’autre part que la possibilité de procéder à des reproductions aux mêmes fins soit exclue en matière de téléchargement, la loi DADVSI permet à l’auteur ou son ayant droit d’autoriser ou d’interdire une reproduction de son œuvre indépendamment du point de savoir si cette reproduction a ou non vocation à être communiquée au public. En faisant ainsi entrer le monopole de l’auteur dans la sphère privée, la loi DADVSI redéfinit sans doute ce monopole en considération de la seule matérialité des actes qu’il réserve, indépendamment de leur finalité… et donc moyennant une difficulté d’interprétation entre la lettre des articles L. 122-2 et L. 122-3, d’une part, et celle des nombreux articles traitant du nouveaux visage de la copie privée.

Notes

[1] « L’auteur ne peut interdire (…) 2° les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective (… ) ».

[2] Nouvel article L. 331-5, alinéa 1, du CPI.

[3] Nouvel article L. 331-5, alinéa 2.

[4] Art. L. 122-1 à L. 122-3 du CPI : « Le droit d’exploitation appartenant à l’auteur comprend le droit de représentation et le droit de reproduction » (L. 122-1, al. 1) / « La représentation consiste dans la communication de l’œuvre au public par un procédé quelconque » (L. 122-2, al. 1) / « La reproduction consiste dans la fixation matérielle de l’œuvre par tous procédés qui permettent de la communiquer au public d’une manière indirecte ».

[5] Déjà mise en lumière, au même titre que les difficultés soulevées avant l’entrée en vigueur de la loi DADVSI pour en sortir, dans l’affaire “Mulholland Drive”.

[6] Nouvel art. L. 331-13.

[7] Art. L. 335-3-1. - I : 3 750 euros.

[8] Art. L. 335-3-1. - II.

[9] Le recel étant « le fait, en connaissance de cause, de bénéficier, par tout moyen, du produit d’un crime ou d’un délit » : art. 321-1, alinéa 2, du code pénal.

[10] Ledit texte rappelant que les ayants-droit sont tenus d’assurer le bénéfice effectif de la copie privée.

[11] Cette position est résumée en ces termes par le Professeur Benabou dans son commentaire de l’arrêt de la cour d’appel dans l’affaire Mulholland Drive.

[12] « La représentation consiste dans la communication de l’œuvre au public par un procédé quelconque » (art. L. 122-2 du CPI) ; « La reproduction consiste dans la fixation matérielle de l’œuvre par tous procédés qui permettent de la communiquer au public d’une manière indirecte » (art. L. 122-3 du CPI).

[13] « La fixation matérielle n’est que le préalable et le moyen de la communication [de l’œuvre] au public (…). Ce que vise à contrôler le droit exclusif de reproduction n’est donc pas la fixation matérielle de l’œuvre mais l’opération de communication dont la fixation est le moyen ». P. Gaudrat et F. Sardain, De la copie privée (et du cercle de famille) ou des limites au droit d’auteur ; Comm., Com. élec. ; nov. 2005, p. 9.