Les cessions de droits d’auteur font l’objet, dans le code de la propriété intellectuelle, d’un ensemble de règles ayant pour but d’assurer la protection du consentement et des intérêts de la partie présumée la plus faible : l’auteur. Notamment, l’article L. 131-2 du CPI exige une preuve littérale pour une liste de limitée de contrats, avant de renvoyer aux règles gouvernant la preuve testimoniale « dans tous les autres cas », tandis que l’article L. 131-3 prescrit à peine de nullité que l’ « acte » opérant « la transmission des droits de l’auteur » doit comporter une mention pour chaque droit cédé, en précisant le territoire, la durée, l’étendue, et la destination de la cession, exigence que l’on peut résumer en se référant à un « principe de spécialité ».

Comment concilier, alors, l’absence d’écrit « dans les autres cas » que ceux expressément visés à l’article L. 131-2, et le respect du principe de spécialité énoncé à l’article L. 131-3, a priori applicable à tout acte de cession ? En fait de conciliation, il ne peut en réalité y avoir qu’un sacrifice d’un texte au profit de l’autre :

  • soit le principe de spécialité est d’application générale, et l’article L. 131-2 est vidé de sa substance, puisque le recours à un écrit sera - en pratique - indispensable au respect de l’article L. 131-3 ;
  • soit le parti est pris de limiter le principe de spécialité aux seuls contrats visés par l’article L. 131-2, en dépit de la généralité des termes de celui qui le suit.

Telle est l’alternative que la Cour de cassation a une nouvelle fois eu l’occasion d’arbitrer, le 21 novembre dernier. L’affaire naquit de la rencontre d’un styliste et d’un investisseur ayant constitué une société de haute couture, afin d’exploiter les créations de l’auteur. Actionnaire de la société, ce dernier en était également salarié, en qualité de directeur artistique. Après un an d’ouvrage, et la création de deux collections, l’auteur fut licencié. Son contrat de travail ne comprenant apparemment pas de clause de cession de droits, et les exemplaires tirés de sa dernière collection ayant été commercialisés, il demanda réparation de l’atteinte portée de ce fait aux droits d’auteur qu’il n’avait pas cédés.

Le 16 février 2005, la 4ème chambre, section A, de la cour d’appel de Paris rendit un arrêt remarqué[1], déboutant l’auteur selon le raisonnement suivant :

  • L’article L. 131-2 exige un écrit pour les seuls contrats (i) de représentation, (ii) d’édition, et (iii) de production audiovisuelle ;
  • Si l’article L. 131-3 impose que la cession des droits de l’auteur soit suffisamment précise quant au territoire, à la durée, à l’étendue, et à la destination des droits cédés, cette règle ne s’applique que pour les seuls contrats visés à l’article L. 131-2.

La cour d’appel opta donc pour la seconde branche de l’alternative sacrificielle. Considérant, dès lors, que « la cession du droit d’auteur sur un modèle n’est soumise à aucune forme », elle retint que la preuve de la cession par l’auteur de ses droits patrimoniaux sur les modèles litigieux résultait de la teneur des conclusions qu’il prit devant le tribunal, et de sa qualité d’associé à la société devant exploiter ses œuvres. Le pourvoi formé contre cet arrêt ayant été rejeté par la Cour de cassation, il s’agit de déterminer l’étendue du principe de spécialité, puis de s’intéresser à la mise en œuvre pratique des cessions de droits qui n’y seraient plus soumises.

CESSION DE DROITS ET ABSENCE D’ECRIT

Apparemment en rupture avec la doctrine majoritaire et la jurisprudence de la Cour de cassation, la solution de l’arrêt du 21 novembre 2006 reposerait néanmoins sur une analyse rigoureuse des articles L. 131-2 et L. 131-3. En supposant que sa solution ait alors vocation à prospérer, reste que ces deux textes ainsi interprétés devront être conciliés avec les autres dispositions du code.

Obsessions textuelles[2]

Le moyen reprochait en premier lieu à la cour d’appel d’avoir considéré que l’article L. 131-3 ne s’appliquerait qu’aux contrats d’édition, de représentation, et de production audiovisuelle. La Cour de cassation y répond dans les termes qui suivent :

Mais attendu qu’après avoir justement énoncé que les dispositions de l’article L. 131-3 du code de la propriété intellectuelle, qui ne visent que les seuls contrats énumérés à l’article L. 131-2, alinéa 1er, (…), ne s’appliquaient pas aux autres contrats, c’est à bon droit que la cour d’appel a jugé que la cession d’exploitation sur des modèles n’étaient soumise à aucune exigence de forme et que la preuve pouvait en être rapportée selon les prescriptions des articles 1341 à 1348 du code civil (…)

A l’aune des termes choisis par la Cour de cassation, le principe de spécialité ne vaut plus, selon cet arrêt, que pour les seuls contrats visés par l’article L. 131-2 du CPI[3]. Cette position marque une rupture nette vis-à-vis de l’analyse retenue par une majorité de la doctrine, privilégiant la première branche de l’alternative rappelée en exergue. En effet, la généralité des termes de l’article L. 131-3[4] implique a priori que ce texte s’applique à toute cession de droits : il n’y a pas lieu de distinguer là ou la loi ne distingue pas. Or, soumettre toute cession de droits au principe de spécialité prive d’une quelconque portée pratique le renvoi à la preuve testimoniale effectuée par l’article L. 131-2 pour les contrats qu’il ne vise pas : « Même en admettant que l’écrit ne soit pas requis (…), la cession ne pourra en effet déployer ses effets qu’à la condition de comporter les nombreuses précisions énumérées par l’article L. 131-3, alinéa 1er. On ne voit guère que cela soit possible autrement que par écrit »[5]. Jusqu’à il y a six mois, la jurisprudence de la Cour de cassation était également en ce sens. La Haute Juridiction eut ainsi eu l’occasion de casser, pour violation de l’article L. 131-3, des arrêts ayant retenu une cession tacite ou trop imprécise dans des espèces où aucun des contrats pour lesquels l’article L. 131-2 exige un écrit n’était en cause.

L’approbation par la Cour de cassation de la position adoptée par la cour d’appel de Paris est d’autant plus surprenante que, pour justifier leur décision, les juges du fond énoncèrent que l’article L. 131-3 du CPI « ne vise que les seuls contrats énumérés à l’article L. 131-2, al. 1. », alors qu’une telle limitation sera vainement recherchée dans la lettre de cet article. Cependant, Me P. Allaeys, commentant la décision des juges du second degré[6], rappelle que les articles L. 131-2 et L. 131-3 sont issus de l’article 31 de la loi du 11 mars 1957, démembré lors de la création du CPI, en 1992. Et bien qu’elle ait abrogé la loi de 1957, la loi de codification est censée avoir été adoptée à droit constant, donc sans modification de fond des textes codifiés. Une fois les deux articles réunis, la position retenue par la cour d’appel apparaît, au moins textuellement, nettement plus fondée :

Les contrats de représentation, d’édition et de production audiovisuelle définis au présent titre doivent être constatés par écrit.
Dans tous les autres cas, les dispositions des articles 1341 à 1348 du code civil sont applicables.
La transmission des droits de l’auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l’objet d’une mention distincte dans l’acte de cession et que le domaine d’exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée.

En effet, les références aux notions d’ « acte » et de « mention » contenues dans l’actuel article L. 131-3, anciennement troisième alinéa de l’Art. 31 de la loi de 1957, renvoient très probablement à l’écrit exigé par le premier alinéa de ce texte, aujourd’hui article L. 131-2 du CPI. Ce serait donc cette interprétation exégétique qui justifierait de limiter l’application du principe de spécialité aux seuls contrats d’édition, de représentation, et de production audiovisuelle.

En faveur d’une telle lecture, il pourra être argué que les rigueurs du formalisme imposé par l’article L. 131-3, afin de protéger – ou à tout le moins d’éclairer - le consentement de l’auteur, n’ont de pertinence que pour les œuvres ayant vocation à nourrir la « grande » culture, et dont l’exploitation implique la conclusion des contrats mentionnés au premier alinéa de l’article L. 132-1. Cette analyse commande toutefois d’admettre, alors, que la théorie de l’unité de l’art ne concerne que l’existence des droits - au travers de l’existence de l’œuvre - et non leur exercice.

A rebours, les tenants d’une application absolue du principe de spécialité pourront précisément opposer que l’unité de l’art interdit que l’interprétation des dispositions générales régissant l’exploitation des droits consacre un droit d’auteur à deux vitesses, mais également que la lettre de la loi de 1957 ne doit pas primer sur son but premier : protéger le créateur, quel qu’il soit[7]. Ils pourront en tout état de cause s’interroger sur la conciliation d’une telle application limitée du principe de spécialité avec les autres dispositions du code.

Concours de principes et de qualifications

L’auteur à qui l’on opposerait une cession de droits non écrite, et qui ne pourrait plus la contester en invoquant la violation du principe de spécialité, pourrait encore attendre que son adversaire prouve, outre l’existence du negotium dont il se prévaut, le caractère proportionnel de la rémunération de l’auteur (Art. L. 131-4)[8], soutenir que la cession invoquée est nulle car opérant une cession globale des œuvres futures, prohibée (L. 131-1), et/ou, enfin, exiger la preuve que la cession concerne tant le droit de reproduction que le droit de représentation, ainsi que leurs modes d’exploitation dès lors que l’adversaire se prévaudra d’une cession totale. En effet, selon l’article L. 122-7 :

Le droit de représentation et le droit de reproduction sont cessibles à titre gratuit ou à titre onéreux.
La cession du droit de représentation n’emporte pas celle du droit de reproduction.
La cession du droit de reproduction n’emporte pas celle du droit de représentation.
Lorsqu’un contrat comporte cession totale de l’un des deux droits visés au présent article, la portée en est limitée aux modes d’exploitation prévus au contrat.

Ce texte, ex article 30 de la loi de 1957, ne réserve pas ses exigences à tel ou tel contrat. Les trois premiers alinéas énoncent le principe d’interprétation stricte, suivant lequel l’auteur conserve tous les droits qu’il n’a pas expressément cédés, tandis que le dernier ne manque pas de faire écho au principe de spécialité, voire d’en être un autre fondement. Autrement dit, l’article L. 122-7 de permet-il pas de rétablir indirectement la nécessité d’une preuve écrite de l’étendue des droits cédés que supprime l’interprétation exégétique des articles L. 131-2 et L. 131-3 retenue par la Cour de cassation ? En l’espèce, aucun de ces arguments ne fut soulevé par le demandeur[9], et le fait que le moyen du pourvoi n’ait pas argué de la violation des articles L. 122-7, L. 131-1, ou L. 131-4 limite sans doute substantiellement la portée de l’arrêt commenté.

Par ailleurs, l’opération de qualification d’un contrat de cession de droits ne présentait jusqu’alors guère d’enjeu au regard de l’application du principe de spécialité. Tel ne sera sans doute plus le cas si la rigueur de la preuve incombant à celui qui se prévaut d’une cession de droits dépend de cette qualification. Certes, l’exercice n’appelle pas de commentaires pour les contrats de production ou d’adaptation audiovisuelle, puisque leur qualification résulte de la nature de l’œuvre. Mais les contrats d’édition et de représentation, qualifiés par la forme de l’exploitation envisagée, sont sans doute, eux, plus flexibles. Ainsi, la jurisprudence considère avec constance que le contrat d’édition est celui par lequel le cocontractant de l’auteur s’engage à fabriquer et commercialiser son œuvre, en assumant le risque économique correspondant[10], indépendamment de la qualification retenue par les parties. A l’aune de cette définition fonctionnelle, le contrat d’édition ne saurait donc se limiter aux seuls secteurs de l’édition littéraire ou musicale, et la question pourrait être utilement soulevée, par exemple, en matière de prêt-à-porter, de design, ou de produits dérivés, notamment… De même, sachant que le contrat de représentation est « celui par lequel l’auteur d’une œuvre de l’esprit et ses ayants droit autorisent une personne physique ou morale à représenter ladite œuvre à des conditions qu’ils déterminent », la cession des droits d’un webmestre sur le site créé pour son client ne serait-il pas un contrat de représentation ?

Si elle devait être confirmée, la réduction du champ d’application du principe de spécialité pourrait donc inciter les plaideurs à multiplier les moyens tendant à (re)qualifier la relation des parties afin de se prévaloir ou de se prémunir des exigences de l’article L. 131-3, au risque d’ouvrir un période de flottement jurisprudentiel sur les critères de qualification des contrats mentionnés par l’article L. 131-2. En admettant néanmoins que certaines cessions de droits puissent être établies par renvoi aux articles 1341 à 1348 du code civil , encore faut-il déterminer ce en quoi consiste ce recours à la preuve testimoniale.

LA PREUVE DES CESSIONS NON ECRITES EN LIBERTE SURVEILLEE

A cet égard, quand bien même verrait-on dans l’arrêt commenté un coup de Jarnac porté au principe de spécialité, les règles gouvernant la preuve testimoniale ne sont pas, pour autant, synonymes de liberté de la preuve, dans la grande majorité des cas, tant et si bien que l’arrêt du 21 novembre 2006 n’offre sans doute rien de plus qu’une arme défensive à l’employeur ou au commanditaire aux prises avec un auteur prenant prétexte de l’absence de formalisation de la cession de ses droits pour (ab)user de la menace d’une action en contrefaçon.

Preuve testimoniale et cession de droits

La preuve testimoniale est admise lorsque la valeur du contrat, au jour de sa signature, est inférieure à 800 euros. Mais la jurisprudence exclut cette règle au profit de l’exigence d’une preuve littérale lorsque la valeur du contrat est indéterminée[11], ce qui est le cas d’un contrat de cession, à raison du principe de rémunération proportionnelle de l’auteur (Art. 131-4 du CPI). La preuve testimoniale ne serait donc recevable que pour les contrats où le recours au forfait est autorisé (Art. L. 131-4, al. 2), et sous réserve que leur valeur du forfait soit inférieure au seuil réglementaire[12]… ce qui limite en soi la possibilité d’établir l’existence d’une cession de droits sans écrit, outre le respect des autres règles impératives du code.

Cependant, par exception, la preuve testimoniale est également recevable dans deux cas, quoi qu’une preuve littérale soit exigée :

  • lorsque le débiteur de la preuve est dans l’impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit, en ce compris sa destruction par un cas de force majeure (Art. 1348). L’hypothèse est – par nature – exceptionnelle ;
  • lorsqu’il existe un commencement de preuve par écrit[13], qui devra alors être complété par un témoignage, une présomption de l’homme, ou un serment supplétoire (Art. 1347, et 1341 à 1346, 1353, et 1366 à 1369).

Enfin, l’exigence d’une preuve littérale cède également devant l’une des deux preuves « reines » que sont l’aveu judiciaire et le serment décisoire (Art. 1356 et 1358 à 1365). Le second ne repose, en définitive, que sur l’honnêteté de l’adversaire, et ses conséquences sont à ce point rigoureuses[14] que sa mention est anecdotique. Quant à l’aveu judiciaire, son champ d’application est sans doute extrêmement réduit dans une matière où la représentation est obligatoire, puisque les conclusions échangées par les avocats des parties sont alors son principal terrain d’expression, et qu’il y a lieu d’espérer que les conseils sauront éviter de faire apparaître dans leurs écritures la preuve de la prétention de leur adversaire. Toutefois, l’aveu judiciaire pourrait également se manifester à l’occasion de la comparution personnelle des parties, que le juge peut ordonner en toute matière[15], mais le recours à cette mesure d’instruction est des plus rares.

En l’espèce, la cour d’appel releva que la société constituée par les parties avait pour objet l’exploitation de créations de mode, et que « (…) dans ses écritures, signifiées (…) dans le cadre de la procédure de première instance, [le demandeur] a expressément reconnu que “le projet [des parties] était à long terme et ambitieux (…) [La défenderesse] a décidé d’investir des sommes importantes (…) ces très lourds investissements ont été réalisés dans la perspective d’un projet à long terme” », l’ensemble établissant, selon la cour, que « les parties [avaient] d’un commun accord décidé que [la défenderesse] apportait d’importants capitaux (…), et [le demandeur] ses créations de modèles en vue de leur exploitation par la société », pour en déduire que ce dernier lui avait cédé ses droits.

Le pourvoi reprochait donc à la cour d’appel d’avoir déduit la preuve de la cession de droits alléguée par le défendeur de « la seule justification d’un projet commun » impliquant le demandeur, le moyen[16] précisant que « la preuve [de la cession, en l’absence d’écrit] ne peut être rapportée à l’encontre d’une partie non commerçante que dans les conditions prévues à l’article L. 131-2, alinéa 2, du même code », lequel renvoie aux articles 1341 à 1348 du code civil, régissant la preuve testimoniale. En réponse, la Cour suprême énonce :

qu’ayant par ailleurs relevé que M. X. avait reconnu dans ses écritures du 18 novembre 2002 que la société EOS, dont il était l’associé, avait été créée dans le cadre d’un projet de partenariat ambitieux, à seule fin d’exploiter ses créations dont Mme de Y. assumait les lourds investissements, la cour d’appel a pu déduire de ces aveux, corroborés par les différents éléments du dossier qu’elle a souverainement appréciés, la preuve de la cession des droits d’exploitation litigieux à la société EOS

La référence faite par la Cour aux aveux relevés par les juges du fond est assez ambiguë. De deux choses l’une : soit l’aveu est judiciaire et, en tant que « reine des preuves », il est admissible et suffisant en toute matière, quelle que soit la nature ou la valeur du litige[17] ; soit l’aveu est extrajudiciaire[18] et, lorsqu’il est écrit, il constitue un commencement de preuve par écrit[19]. Or, en relevant que ces aveux ont été « corroborés par les différents éléments du dossier » souverainement appréciés par la cour d’appel, la Cour suggère que les aveux en cause étaient imparfaits, et donc extrajudiciaires, faute de quoi le complément par des « éléments » de preuve serait surabondant.

Cette analyse est confortée par le fait que l’aveu implicitement identifié par la cour d’appel dans les conclusions du demandeur est pour le moins sibyllin, le fait que « très lourds investissements [aient] été réalisés dans la perspective d’un projet à long terme » semblant insuffisant, en lui-même, à établir l’existence de la cession alléguée[20]. En réalité, il y a tout lieu de penser que c’est la conjonction de ces « aveux » avec le fait que l’auteur était non seulement salarié mais aussi actionnaire de la société qui a emporté la conviction des juges du fond quant à l’existence d’une cession. En d’autres termes, moyennant un contrôle normatif léger, la Cour de cassation estime, pour rejeter le pourvoi, que la preuve retenue par la cour d’appel peut être conforme aux dispositions des articles 1341 à 1348 : les conclusions de première instance furent l’aveu extrajudiciaire valant commencement de preuve par écrit, que compléta la présomption de l’homme tirée de la qualité d’associé du demandeur[21].

Compte tenu de ce qui précède, la possibilité de rapporter la preuve d’une cession de droits en l’absence d’écrit ne sera offerte, dans la majorité des cas, que sous réserve de l’existence d’un commencement de preuve par écrit, à compléter par des témoignages, présomptions de l’homme, ou aveux extrajudiciaires qui, seuls, n’auront aucune valeur probante. Le recours au droit commun de la preuve, conjugué aux autres exigences du code quant au contenu d’une cession de droits, présente donc de ce fait un intérêt très relatif, si ce n’est, peut-être, lorsque la création est issue de l’exécution d’un contrat de travail, ou de commande.

Vers un assouplissement du régime général des œuvres issues d’un engagement de création ?

Une fois rappelé que l’existence d’un contrat de travail ou de commande n’emporte pas, sauf exception, cession des droits de l’auteur au bénéfice de l’employeur ou du commanditaire[22], les principes généraux précédemment évoqués - abstraction faite de l’arrêt commenté – aboutissent par exemple à ce que l’employeur souhaitant exploiter tous les travaux d’un salarié créant une œuvre par jour devra lui proposer quotidiennement un contrat pourvu des mentions idoines pour couvrir la ou les exploitations envisagées.

Les difficultés pratiques subséquentes n’ont pas manqué d’être soulignées, de longue date, en particulier par les agents économiques dont l’activité a pour objet de recourir « massivement » à la création. A la fin du siècle dernier, MM. Gaudrat et Massé[23] remirent ainsi au Premier Ministre, à sa demande, un rapport consacré à « la titularité des œuvres réalisées dans les liens d’un engagement de création »[24], élaboré selon une méthode réduisant, dans un premier temps, l’intervention des milieux professionnels concernés à une enquête préalable sur leurs besoins. Cette enquête servit de base à l’élaboration « d’une analyse juridique aussi rigoureuse et indépendante que possible des milieux professionnels »[25] devant, dans un second temps, être soumise à l’appréciation des représentants des secteurs professionnels en cause, pour concertation. La problématique soulevée offrit l’occasion au Professeur Gaudrat de procéder à une sorte d’audit de la cohérence de la propriété littéraire et artistique, et de suggérer des modifications législatives aux effets substantiels[26], conciliant – selon son auteur – la vocation protectrice de la matière envers les « vrais » créateurs avec les intérêts des exploitants d’œuvres de tous genres, notamment celles relevant des arts appliqués. Ce rapport resta sans suite, sans doute parce qu’il impliquait nécessairement des concessions de taille de la part des organes représentatifs (?) des différentes professions, voire une renonciation pure et simple à certains de leurs chevaux de bataille respectifs.

Concomitamment, le Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique voyait le jour, sous l’égide du Ministère de la Culture[27]. Accordant une place conséquente à la concertation professionnelle[28], ses premiers travaux furent consacrés à « la création des auteurs salariés de droit privé ». Force est toutefois de constater que les difficultés identifiées furent les mêmes que celles relevées par le rapport Gaudrat, et que les mérites supposés de la concertation n’accouchèrent pas même d’une souris, le rapport d’activité 2001/2002 du CSPLA concluant qu’ « au delà du recensement des points de divergence, aucun accord n’a pu être trouvé entre le collège des employeurs et celui des salariés », les « désaccords persistants » concernant « la question de la rémunération des auteurs en dehors du salaire, à telle enseigne qu’aucune position commune n’est apparue, même au sein du collège des employeurs »[29], le CSPLA n’ayant finalement comme seul motif de satisfaction « la naissance d’un dialogue entre deux collèges peu habitués à se dire les choses aussi franchement, et l’identification des questions qui posent litige ».

Dans ce contexte, l’arrêt commenté témoigne d’une certaine distance prise par la Cour suprême avec le paradigme exigeant un haut degré de protection de l’auteur, quel qu’il soit. La brèche ainsi ouverte dans ce qu’il est convenu d’appeler le « romantisme » du droit d’auteur français ne pourrait à elle seule faire échec à l’application des autres difficultés textuelles et probatoires rappelées ci-avant… si ce n’est dans le cadre de la création de commande. Non pas tant pour permettre à l’employeur/commanditaire d’acquérir les droits de l’auteur salarié ou prestataire du seul fait de l’existence de leur relation professionnelle, mais plutôt pour offrir à l’employeur un moyen de défense face à la vindicte d’un ex salarié/prestataire qui, dans le cadre du litige né de la rupture de leur relation contractuelle, agiterait le chiffon rouge d’une action en contrefaçon en guise de levier de négociation. En effet, l’existence d’un rapport salarial comme d’une collaboration entre prestataire et commanditaire pourra avoir donné lieu à une multitude d’échanges entre les parties, qu’il s’agisse de courriels, de bons de commande, etc. Au gré des espèces, sous réserve que les exploitations en cause ne répondent pas aux critères de qualification d’un contrat d’édition ou de représentation[30], ces commencements de preuve par écrit, complétés par d’autres preuves imparfaites prévoyant – par exemple – la teneur des missions du salarié/prestataire, pourraient permettre d’établir que l’auteur avait conscience des conditions et de l’étendue de l’exploitation de son œuvre avec un degré de précision suffisant pour satisfaire aux prescriptions des articles , L. 122-7, L. 131-1, et/ou L. 131-4, nonobstant l’absence d’un acte instrumentaire la formalisant.

* * *

De ce qui précède, il appert que la réduction du champ d’application du principe de spécialité retenue par la cour d’appel de Paris, et approuvée par l’arrêt du 21 novembre 2006, n’aura vraisemblablement que peu de portée pratique, tant les autres dispositions du CPI et le droit commun de la preuve rendent complexes, voire vaines, les tentatives probatoires du plaideur souhaitant effectivement s’affranchir de l’absence d’écrit. En outre, il ne faudrait pas non plus prêter à l’arrêt commenté une trop grande portée symbolique, tous les indices usuellement retenus pour qualifier un arrêt peu voire pas significatif au sein de la doctrine de la Cour de cassation étant réunis : arrêt de rejet, rendu en formation restreinte, sans publication sur le site de la Cour ni au Bulletin.

Ainsi, sans aller jusqu’à le considérer comme un arrêt d’espèce, l’arrêt du 21 novembre 2006 a tout l’air, au mieux, d’un ballon d’essai, à moins d’y voir un message à l’attention des justiciables (et surtout de leurs conseils), signifiant qu’il n’est plus nécessairement opportun de se prévaloir de l’absence d’écrit pour fonder une action judiciaire en contrefaçon dans des affaires dont les faits suggèrent que l’auteur ne pouvait ignorer le sort qui serait réservé à son œuvre. Le cas échéant, il serait sans doute plus simple de combattre la mauvaise foi de certains auteurs en renonçant à l’indifférence de la bonne foi du contrefacteur dans un procès civil[31], au moins au regard des actions en réparation.

Notes

[1] D. 2005, n°36 p. 2523.

[2] Il importe de rappeler que, dans un arrêt de rejet, certaines formules employées par la Haute Juridiction témoignent de la vigueur du contrôle normatif opéré. Lorsque la Cour précise que le juge du fond « a pu » considérer que…, la Cour suprême indique avoir estimé que l’application de la norme commandait, au cas d’espèce, de laisser une certaine liberté au juge du fond, précisément à raison des faits en cause ; le contrôle est alors dit « léger » et, le cas échéant, il y a lieu de considérer que la solution de l’arrêt ne pourra être transposée qu’à une espèce présentant une très grande proximité avec les faits en cause. En revanche, la Cour indique avoir procédé à un contrôle strict des conditions d’application de la norme (contrôle « lourd ») lorsqu’elle énonce que le juge du fond a « exactement » / « justement » / « à bon droit » / « à juste titre » statué dans le sens qu’il a retenu.

[3] Soit le contrat d’édition, le contrat de représentation, et le contrat de production audiovisuelle, auxquels il convient d’ajouter le contrat d’adaptation audiovisuelle, parce que l’article L. 131-3, al. 3, en dispose ainsi expressément : « Les cessions portant sur les droits d’adaptation audiovisuelle doivent faire l’objet d’un contrat écrit sur un document distinct du contrat relatif à l’édition proprement dite de l’œuvre imprimée ».

[4] Qui fait référence à « une mention distincte dans l’acte » opérant « la transmission des droits de l’auteur », pour chaque droit cédé, sans que « l’acte » ainsi visé ne fasse l’objet d’une quelconque précision.

[5] A. et H.-J. Lucas, Traité de la propriété littéraire et artistique, Litec, 3ème Ed., n°582.

[6] op. cit.

[7] Sauf, évidemment, lorsque cette même loi en dispose autrement.

[8] Avec la difficulté supplémentaire tirée de ce que la jurisprudence impose que l’assiette de cette rémunération soit le prix payé par le public.

[9] Alors les faits de l’espèce s’y prêtaient sans doute. Par exemple, en ce qui concerne l’article L. 131-1, le « projet commun », « ambitieux », et « à long terme » dont l’existence justifie la cession des droits de l’auteur à sa société, selon la cour d’appel, portait manifestement sur toutes les créations à venir du styliste, en contradiction avec un donné légal - pour une fois - univoque : « La cession globale des œuvres futures est nulle »…

[10] A moins que ce risque soit également assumé par l’auteur : cf. le contrat de compte à demi, Art. L. 132-3 du CPI.

[11] Civ., 9 mai 1904 : DP 1904, 1, p. 310 ; S. 1904, 1, p. 320.

[12] Par renvoi, seront alors également admises les preuves par présomption de l’homme et par aveu extrajudiciaire (Art. 1353 et 1355 du code civil), mais pas par serment supplétoire, qui suppose la préexistence d’éléments de preuve, la jurisprudence ayant précisé que celle-ci devait au moins être un commencement de preuve par écrit.

[13] Art. 1347 du code civil : « On appelle ainsi tout acte par écrit qui est émané de celui contre lequel la demande est formée, ou de celui qu’il représente, et qui rend vraisemblable le fait allégué » (al. 2). « Peuvent être considérées par le juge comme équivalant à un commencement de preuve par écrit les déclarations faites par une partie lors de sa comparution personnelle, son refus de répondre ou son absence à la comparution » (al. 3).

[14] La décision prononcée suite à un serment décisoire est insusceptible d’appel, et l’éventuelle fausseté du serment ne permet qu’un recours en révision contre la décision l’ayant reçu. Quant à l’action pénale, elle ne peut être exercée par la victime, à raison des dispositions de l’article 1363.

[15] Art. 184 et s. du code de procédure civile.

[16] Tel que résumé par l’arrêt de la Cour de cassation.

[17] Par ex., pour un contrat normalement soumis à la preuve littérale : Req., 22 juin 1926 : S. 1926, 1, p. 253.

[18] Ce qui est le cas de tout aveu ne répondant pas aux conditions de l’aveu judiciaire, soit «  la déclaration que fait en justice la partie ou son fondé de pouvoir spécial » (Art. 1356 du code civil).

[19] Art. 1355 du code civil, a contrario.

[20] Ainsi, il aurait parfaitement pu être convenu entre les parties, et même légitime, que la durée d’une telle cession soit limitée à la présence effective de l’auteur au sein du projet…

[21] Art. 1353 du code civil : « Les présomptions qui ne sont point établies par la loi, sont abandonnées aux lumières et à la prudence du magistrat, qui ne doit admettre que des présomptions graves, précises et concordantes, et dans les cas seulement où la loi admet les preuves testimoniales, à moins que l’acte ne soit attaqué pour cause de fraude ou de dol ».

[22] Art. L. 111-1 du CPI.

[23] Respectivement pour les aspects juridiques et économiques.

[24] Dont seule une synthèse est disponible en ligne.

[25] Synthèse du rapport précité, Avant-propos, p. 4.

[26] De ce que l’on comprend de la synthèse précitée, et notamment : réduction du champ d’application de la protection par un renforcement de la condition d’originalité, et par l’exclusion des créations logicielles du droit d’auteur  ; abandon du principe du « cumul total » entre droit d’auteur et dessins et modèles, au profit du « cumul partiel » ; suppression de l’œuvre collective et des dispositions relatives à l’aménagement du droit moral dans l’œuvre audiovisuelle ; aménagement de la prohibition de la cession globale des œuvres futures dans les « contrats à exécution successive à durée indéterminée »… et surtout, maintien d’un intéressement de l’auteur – même salarié – à l’exploitation de son œuvre.

[27] Arrêté du 10 juillet 2000 portant création 
du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, JORF n°217 du 19 septembre 2000, p. 14634, texte n° 10.

[28] Comme en témoigne sa composition, puisqu’il comptait à sa création, notamment « Trente-deux membres représentant les professionnels (…) ainsi répartis : - dix représentants des auteurs ; - deux représentants des auteurs et éditeurs de logiciels et bases de données ; - deux représentants des artistes-interprètes ; - deux représentants des producteurs de phonogrammes ; - deux représentants des éditeurs de presse ; - deux représentants des éditeurs de livres ; - deux représentants des producteurs audiovisuels ; - deux représentants des producteurs de cinéma ; - deux représentants des radiodiffuseurs ; - deux représentants des télédiffuseurs ; - deux représentants des éditeurs de services en ligne ; - deux représentants des consommateurs. » (art. 4. 3) de la version d’origine l’Arrêté précité).

[29] Le rapport est relativement équivoque à cet égard, en relevant dans un premier temps que si les désaccords sur ce point relèvent plus de difficultés pratiques quant à la mise en œuvre de cette rémunération, qui pourraient être contournées par le recours à des accords collectifs professionnels, précédés d’une modification du CPI, (soit, en substance, ce que proposait le rapport Gaudrat), il ajoute ensuite, à propos d’un recours à la gestion collective des droits des salariés, que les employeurs refusent d’être tenus « à un double paiement (…) : salaire d’une part et droits sollicités par la société de perception et de répartition d’autre part ». Il semble donc bien que, quelle que soit la méthodologie employée (direction ou concertation) et les solutions préconisées (accords collectifs ou gestion collective) par le rapport Gaudrat puis le CSPLA, le point « bloquant » demeure le principe d’une rémunération distincte du salaire, au titre de la cession des droits de l’auteur salarié.

[30] Ou - mais l’hypothèse est plus improbable - de production audiovisuelle.

[31] Sur cette règle prétorienne, V° Bonne foi (contrefaçon).