La multiplication des contentieux nourris par la responsabilité des plateformes de partage de vidéos, à raison des contenus diffusés par leurs utilisateurs, laisse quelques doutes sur le succès des ambitions affichées par le titre de la loi « pour la confiance dans l’économie numérique ». En effet, à en juger par les débats présentés aux juridictions, les difficultés opposant les plaideurs tiennent tant au régime de la responsabilité des hébergeurs qu’aux critères permettant, en amont, de qualifier ainsi un acteur de l’économie numérique. Si les occasions de revenir sur le premier point ne manquent donc pas, encore faut-il, au préalable, tenter de définir ce qu’est un hébergeur, au regard de la loi.

Version 1.0

En ce temps que les moins de dix ans ne peuvent pas connaître, l’hébergeur était l’intermédiaire assurant le stockage, sur des serveurs connectés à internet, des données correspondant au(x) site(s) web édité(s) par ses clients. En ce temps là toujours, Lionel Jospin, nouvellement Premier Ministre, interrogea le Conseil d’Etat sur les enjeux juridiques liés au développement d’internet. A propos des responsabilités encourues à raison de la diffusion de contenus sur le web, le le rapport « Internet et les réseaux numériques »[1] subséquent releva les diverses solutions envisagées par la doctrine. Ecartant la déresponsabilisation des intermédiaires techniques, le Conseil d’Etat donna sa préférence à une solution distributive :

L’objectif serait de maintenir la responsabilité éditoriale [prévue par la loi de 1881] pour ce qui la concerne, c’est-à-dire la fonction d’édition de contenus, mais de retenir un régime de responsabilité de droit commun pour toutes les autres fonctions exercées sur le réseau et notamment les fonctions d’intermédiation technique ou d’ensemblier. Concrètement, un fournisseur d’accès ne serait donc a priori responsable que de ses propres contenus, édités par lui-même, mais non de ceux auxquels il donne accès ou qu’il héberge ; il ne serait ainsi ni le directeur de la publication des pages personnelles de ses abonnés, ni responsable des propos émis dans les forums. De même, les liens hypertexte ne le rendraient pas responsable de l’ensemble des contenus auxquels ils renvoient. De même, les reproductions temporaires de type “cache” ne devrait pas le rendre responsable du contenu de celles-ci.

Il fut donc proposé, d’une part, de définir légalement l’activité d’éditeur de contenus, par une modification de la loi du 29 juillet 1982, afin que soient ainsi qualifiées « les personnes qui créent ou produisent un contenu mis à disposition du public » , et d’autre part, de suivre les recommandations du Professeur Vivant quant à la mise en œuvre d’une responsabilité pénale de droit commun pour les intermédiaires techniques, en recommandant de statuer selon « le triptyque “Savoir/Pouvoir/Inertie” : l’intéressé savait-il ou aurait-il dû savoir ? Avait-il les moyens d’empêcher ? N’a-t-il rien fait pour limiter l’atteinte ? ».



La responsabilité civile, elle, n’appela pas de commentaires particuliers, sinon un renvoi au droit commun résultant des articles 1147 et 1382 du code civil. A cet égard, en propriété intellectuelle, l’atteinte au monopole d’un ayant-droit, opérée en reproduisant ou en communiquant au public un contenu protégé sans les autorisations requises, engage la responsabilité civile in solidum[2] de chaque personne ayant accompli les actes non autorisés, indépendamment de leur bonne ou mauvaise foi. L’application du droit commun à l’hébergeur devait donc conduire à ce que ce dernier soit responsable, solidairement avec l’éditeur, du préjudice causé par l’exploitation d’un contenu diffusé sans les autorisations idoines, l’hébergeur ayant matériellement reproduit ledit contenu sur ses serveurs, avant de permettre techniquement sa communication au public sur internet… serait-ce pour le compte de l’éditeur du site hébergé.

Concomitamment, des revendications tendant à préserver les intermédiaires techniques des risques juridiques liés à la diffusion de contenus se firent entendre au niveau européen. En préparant ce qui allait devenir la directive 2000/31/CE du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, dite “Commerce électronique”, l’Union européenne ne fut pas insensible à ces considérations, estimant notamment que le développement de commerces pérennes sur le web présentait des enjeux internationaux économiques (et donc sociaux) conséquents, sorte d’Eldorado numérique dont les pépites seraient des points de croissance pour les Etats ayant su offrir à leurs concitoyens un cadre normatif propice à l’audace des entrepreneurs[3], laquelle serait d’autant plus grande que la sécurité juridique du secteur en cause serait assurée[4]. Le principe d’une responsabilité limitée des intermédiaires techniques en général fut donc retenu, au niveau communautaire, par la directive “Commerce électronique” du 8 juin 2000[5], et plus particulièrement, en ce qui concerne les hébergeurs, dans son article 14 :

1. Les États membres veillent à ce que, en cas de fourniture d’un service de la société de l’information consistant à stocker des informations fournies par un destinataire du service, le prestataire ne soit pas responsable des informations stockées à la demande d’un destinataire du service à condition que :
a) le prestataire n’ait pas effectivement connaissance de l’activité ou de l’information illicites et, en ce qui concerne une demande en dommages et intérêts, n’ait pas connaissance de faits ou de circonstances selon lesquels l’activité ou l’information illicite est apparente
ou
b) le prestataire, dès le moment où il a de telles connaissances, agisse promptement pour retirer les informations ou rendre l’accès à celles-ci impossible. (…)

L’idée d’une responsabilité limitée des intermédiaires techniques fit également son chemin, en droit interne et le législateur, s’inspirant à la fois des travaux préparatoires de la directive et du rapport du Conseil d’Etat, modifia l’article 43-8 de la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication par la loi n°2000-719 du 1er août 2000, qui fit entrer l’hébergeur dans le Journal Officiel :

les personnes physiques ou morales qui assurent, à titre gratuit ou onéreux, le stockage direct et permanent pour mise à disposition du public de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature accessibles par [des] services [de communication au public en ligne] ne sont pénalement ou civilement responsables du fait du contenu de ces services que si, ayant été saisies par une autorité judiciaire, elles n’ont pas agi promptement pour empêcher l’accès à ce contenu.

La version nationale de la définition de l’hébergeur fut adoptée en contemplation du modèle suivant : l’hébergeur est un prestataire strictement technique, qui stocke les données déterminées par son client sur un disque dur, afin de les mettre à disposition du public via internet[6]. Il est parfaitement indifférent à la nature des données placées sur ses serveurs (que les fichiers contiennent du code informatique, des textes, des sons, des images, des vidéos) par son client. Il s’établit donc une relation triangulaire, entre :

  • le client de l’hébergeur, qui fournit les contenus et qui choisit le moment et la forme de leur publication, i.e. l’éditeur ;
  • l’internaute destinataire de ces contenus, i.e. le public ;
  • l’intermédiaire entre le premier et le deuxième, fournissant les moyens techniques de cette intermédiation, i.e. l’hébergeur.

Mise à jour

Le 21 juin 2004, les hébergeurs sont sortis de la loi du 30 septembre 1986 modifiée pour rejoindre le chapitre de la Loi pour la Confiance dans l’Economie Numérique consacré aux « prestataires techniques », et transposant la directive « Commerce électronique ». Cette transposition a été l’occasion d’étendre la définition de l’hébergeur à un point tel qu’il est possible de s’interroger sur la compatibilité de cette nouvelle définition avec les objectifs fixés par la directive précitée.

De l’hébergement matériel à l’hébergement virtuel

L’article 6.I.2 de la LCEN définit l’hébergeur comme « les personnes (…) qui assurent (…) pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage (…) de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services (…) », conservant ainsi les principaux traits identifiés lors de la description fonctionnelle de l’hébergeur effectuée par la loi de 2000. On retrouve en effet :

  • celui qui fournit les contenus, appelé « destinataire » des services ;
  • celui qui prend connaissance des contenus, donc le « public » que sont les internautes ;
  • celui qui en assure le stockage et la mise à disposition : l’hébergeur.

Cependant, à l’occasion des discussions afférentes à la transposition de la directive « Commerce électronique », il fut avancé que la mention du caractère « direct et permanent » du stockage opéré par l’hébergeur, figurant dans la loi du 1er août 2000 et absente de la définition énoncée par l’article 14 de la directive, pouvait exclure de cette dernière certains intermédiaires techniques. Ainsi, outre les modifications de pure forme apportées par la LCEN à la définition antérieure de l’hébergeur[7], la suppression dans le donné légal de toute référence au caractère « direct » du stockage réalisé traduisit, selon les travaux parlementaire, l’intention d’inclure dans la définition nouvelle « les exploitants de services interactifs qui n’hébergent pas eux-mêmes les contenus échangés ni ceux qui stockent des informations fournies par les utilisateurs finaux », tels que « les hébergeurs offrant aux utilisateurs des forums de discussion »[8]. En effet, les contributions écrites par les membres d’un forum, les vidéos « uploadées » par un internaute sur une plateforme idoine, ou tout autre « User Generated Content » résulte alors de la mise en œuvre de deux services, fournis à deux « destinataires » différents :

  • le premier service est fourni aux internautes, et permet la mise à la disposition du public des contenus qu’ils créent ou choisissent, au moyen d’une interface simplifiée, ce qui caractérise les services du « web 2.0 »  ;
  • le second service est fourni au premier prestataire, et consiste à stocker sur des serveurs connectés à internet les données fournies par les internautes, grâce au service « 2.0 ».

Par exemple, sur un blog, les articles - qui relèvent d’une activité éditoriale - comme les commentaires - qui relèvent d’un service interactif - sont physiquement stockés sur les serveurs d’un même prestataire. Concrètement, si ces données devaient faire l’objet d’une saisie, celle-ci ne pourrait utilement s’opérer que dans les locaux où sont situés les serveurs de ce prestataire, hébergeur du site au sens de la loi du 1er août 2000 (ou hébergeur « 1.0 »). Mais qu’en est-il, alors, de la qualification du prestataire fournissant aux internautes le service interactif leur permettant de diffuser « leurs » contenus (les commentaires) ? Mais, selon les vœux du Parlement, le prestataire fournissant aux internautes le service interactif leur permettant de diffuser « leurs » contenus (les commentaires) est également un hébergeur au sens de la LCEN, à raison de la suppression du caractère « direct » du stockage des données dans la définition légale de ce dernier : à l’hébergeur physique, ou « 1.0 », qui procède au stockage direct des données, s’ajoute un hébergeur offrant un stockage indirect et donc « virtuel » de ces mêmes données, en ce que, bien que cet hébergeur n’accomplisse pas lui-même le stockage, celui-ci n’aurait pu être réalisé sans le service qu’il a fourni à l’internaute ; voici l’hébergeur « 2.0 ».

Il y a alors deux degrés d’intermédiation, établissant ainsi une chaîne d’hébergeurs entre l’auteur du contenu diffusé et le public. Incidemment, les internautes constituent alternativement les « destinataires du service » d’hébergement 2.0 ou le « public », selon qu’ils fournissent le contenu, ou qu’ils consultent celui-ci. Ce modèle a donné lieu à deux affaires, « Dailymotion|http://www.legalis.net/jurisprudence-decision.php3?id_article=1977] » et « Google », soumises à l’appréciation du tribunal de grande instance de Paris. Les demandeurs, s’estimant lésés par la mise à la disposition du public de contenus leur appartenant, par des internautes et grâce à chacun de ces deux services de plateforme vidéo, ont entendu engager la responsabilité de ceux-ci. Se voyant opposer la qualité d’hébergeur « virtuel » revendiquée par l’une et l’autre sociétés, sur le fondement des dispositions de la LCEN, les demandeurs ont, pour la contester, soutenu que l’activité des plateformes de partage vidéo correspondrait en réalité à celle d’éditeur de contenus. Le tribunal a écarté les arguments venant au soutien de cette qualification :

Attendu cependant que la commercialisation d’espaces publicitaires ne permet pas de qualifier la société Dailymotion d’éditeur de contenu dès lors que lesdits contenus sont fournis par les utilisateurs eux-mêmes, situation qui distingue fondamentalement le prestataire technique de l’éditeur, lequel, par essence même, est personnellement à l’origine de la diffusion, raison pour laquelle il engage sa responsabilité. (1ère espèce)

Attendu cependant que le fait pour la société défenderesse d’offrir aux utilisateurs de son service Google Video une architecture et les moyens techniques permettant une classification des contenus, au demeurant nécessaire à leur accessibilité par le public, ne permet pas de la qualifier d’éditeur de contenu dès lors qu’il est constant que lesdits contenus sont fournis par les utilisateurs eux-mêmes, situation qui distingue fondamentalement le prestataire technique de l’éditeur, lequel, par essence même, est personnellement à l’origine de la diffusion et engage à ce titre sa responsabilité. (2ème espèce)

A l’aune de ces attendus, dès lors que le contenu diffusé par un service de communication au public en ligne est fourni par le destinataire de ce service, son prestataire revêt la qualité d’hébergeur du contenu en cause, et non celle d’éditeur. Le seul critère pertinent pour la qualification de l’hébergeur se réduit donc au point de savoir si celui qui revendique une telle qualité a, ou non, choisi le contenu dont il assure la diffusion.

Diffusion numérique et intermédiation technique

Contre cette analyse, il pourrait être soutenu que l’origine des contenus n’est pas la seule condition énoncée par la directive « Commerce électronique », dont le considérant n°42 semble induire que les limitations de responsabilité qu’elle énonce sont tributaires du caractère principalement - voire exclusivement - technique de la prestation fournie :

Les dérogations en matière de responsabilité prévues par la présente directive ne couvrent que les cas où l’activité du prestataire de services dans le cadre de la société de l’information est limitée au processus technique d’exploitation et de fourniture d’un accès à un réseau de communication sur lequel les informations fournies par des tiers sont transmises ou stockées temporairement, dans le seul but d’améliorer l’efficacité de la transmission. Cette activité revêt un caractère purement technique, automatique et passif, qui implique que le prestataire de services de la société de l’information n’a pas la connaissance ni le contrôle des informations transmises ou stockées.

Or, d’une part, la mise à la disposition du public est inhérente à la communication au public en ligne[9] ; elle s’opère nécessairement, d’autre part, par un stockage, au moins préalable et fut-il de quelques secondes. Dès lors, ne pas limiter la définition de l’hébergeur au seul prestataire assurant physiquement (ou matériellement) le stockage et la mise à disposition de contenus implique que toute personne opérant une communication de contenus sur internet sera « intermédiaire technique », sous réserve qu’il n’ait pas choisi le contenu qu’il diffuse. En d’autres termes, les conditions de stockage et de diffusion - a priori énoncées par la LCEN comme pré requis techniques pour le bénéfice du régime spécial de responsabilité qu’elle prévoit - sont en pratique privées de toute portée discriminante. C’est d’ailleurs ce que retient implicitement le tribunal dans les affaires précitées, qui tient pour acquise la qualité de prestataire technique des défenderesse, sous réserve qu’elles n’aient pas choisi les contenus litigieux. Comment l’activité de l’hébergeur 2.0, au sens de la LCEN, peut-elle alors revêtir un « caractère purement technique, automatique et passif » si la dimension technique de la prestation est éludée par des conditions légales qui n’en sont pas ? Ainsi, l’hébergement virtuel consacré par la LCEN pourrait être contraire à l’esprit, sinon à la lettre, de la directive « Commerce électronique ».

Certes, les termes de ce considérant suggèrent l’existence d’une zone grise entre la prestation « purement technique » d’une part, et la « connaissance » ou « le contrôle » des contenus diffusés, d’autre part, l’une n’étant pas l’exact inverse de l’autre. A cet égard, nombre de services du web 2.0[10] diffusent des contenus de nature variée (des textes, des images, du son, voire des vidéos) fournis par les internautes, mais dans les limites des fonctionnalités proposées par leurs prestataires. En ce qui concerne plus particulièrement les plateformes de partage vidéo, la nature même des contenus susceptibles d’être mis en ligne est limitée par le service. Ainsi, sans être choisis par le prestataire, les contenus fournis par ses clients sont plus ou moins orientés, selon la finalité du service. Partant, la question est de savoir si, en déterminant la nature des contenus choisis par les internautes, sinon leur teneur, la prestation de l’hébergeur virtuel est « purement technique », ou si elle ne le conduit pas à opérer une forme de « contrôle » des contenus dont il assure la diffusion.

En faveur de la seconde branche de l’alternative, une réponse pourrait s’inspirer de la définition de l’éditeur de contenus proposée par le Conseil d’Etat dans son rapport précité, soit « les personnes qui créent ou produisent un contenu mis à disposition du public ». Si la notion de création d’un contenu n’appelle aucun commentaire, il convient en revanche de rechercher ce que recouvre celle de « production » d’un contenu. Dans une acception stricte, le producteur d’un contenu le choisit, fût-il créé par un tiers. Une telle lecture exclut indubitablement le prestataire 2.0 de la qualification d’éditeur de contenu. En revanche, une analyse plus large du producteur d’un contenu pourrait conduire à considérer comme telle la personne qui incite un tiers à lui fournir un contenu de telle ou telle nature déterminée, ce qui n’est d’ailleurs pas sans faire écho à la définition de l’éditeur que retient le TGI, lorsqu’il en fait la personne étant « à l’origine de la diffusion » d’un contenu.

Une telle analyse extensive de la notion d’éditeur de contenus pourrait être justifiée par le fait que la limitation de responsabilité civile réservée aux « prestataires techniques » déroge au droit commun, et doit de ce fait être interprétée strictement. Le cas échéant, l’exigence afférente au caractère « purement technique » de la prestation fournie par l’intermédiaire devrait prévaloir sur un questionnement à l’issue aléatoire quant à ce que recouvre la notion polysémique de contrôle des contenus fournis : la seule prise en compte par le service d’intermédiation de la nature d’un contenu fourni par un tiers pourrait suffire à exclure le caractère strictement technique de la prestation proposée. Une telle interprétation semblerait sans doute d’autant plus justifiée aux ayants droit de produits culturels que les prestataires visés par l’article 6.I.2 de la LCEN étant ontologiquement techniques, leur rôle d’intermédiaire entre les contenus et le public se distingue difficilement de celui des diffuseurs de l’économie traditionnelle, dès lors que la seule contrainte imposée à un service de communication au public en ligne qui entend diffuser sur internet des contenus protégés sans obtenir les autorisations préalables pour ce faire est de déléguer au milliard d’internautes le choix in concreto de tels contenus.

* * *

Si la LCEN a donc pu inspirer confiance à de « pure players » tels que les plateformes de partage vidéo, les ayants droit de produits culturels pourraient avoir le sentiment que cet effort législatif a été accompli à leur détriment. L’objectif de valorisation des contenus dans l’environnement numérique par la protection de la propriété intellectuelle, pourtant mis en avant par le Conseil d’Etat[11], est donc, pour l’heure, insatisfait. En tout état de cause, que l’on considère le régime de responsabilité des intermédiaires « techniques » résultant de la LCEN équilibré ou non, il n’en demeure pas moins que les incertitudes entourant la définition d’un acteur de l’économie numérique aussi central que l’hébergeur sont un terreau fertile à l’insécurité juridique qui, elle, n’est de l’intérêt de personne.

Notes

[1] Etude adoptée par l’Assemblée générale du Conseil d’Etat le 2 juillet 1998, par Jean-François Thery, et Isabelle Falque Pierrotin. Conseil d’Etat. Section du rapport et des études.

[2] Cass. civ. 4 déc. 1939, DC 1941, 1, p. 124, note G. Holleaux : “chacun des coauteurs d’un même dommage, conséquence de leurs fautes respectives, doit être condamné in solidum à la réparation de l’entier dommage, chacune de ces fautes ayant concouru à le causer tout entier (…)”.

[3] Ce dont témoignent les premiers considérants de cette directive : “(2) Le développement du commerce électronique dans la société de l’information offre des opportunités importantes pour l’emploi dans la Communauté, en particulier dans les petites et moyennes entreprises. Il facilitera la croissance économique des entreprises européennes ainsi que leurs investissements dans l’innovation, et il peut également renforcer la compétitivité des entreprises européennes, pour autant que tout le monde puisse accéder à l’Internet.”.

[4] “(5) Le développement des services de la société de l’information dans la Communauté est limité par un certain nombre d’obstacles juridiques au bon fonctionnement du marché intérieur qui sont de nature à rendre moins attrayant l’exercice de la liberté d’établissement et de la libre prestation des services. Ces obstacles résident dans la divergence des législations ainsi que dans l’insécurité juridique des régimes nationaux applicables à ces services. (…)”.

[5] “(40) Les divergences existantes et émergentes entre les législations et les jurisprudences des États membres dans le domaine de la responsabilité des prestataires de services agissant en qualité d’intermédiaires empêchent le bon fonctionnement du marché intérieur, en particulier en gênant le développement des services transfrontaliers et en produisant des distorsions de concurrence. (…)” ; “(42) Les dérogations en matière de responsabilité prévues par la présente directive ne couvrent que les cas où l’activité du prestataire de services dans le cadre de la société de l’information est limitée au processus technique d’exploitation et de fourniture d’un accès à un réseau de communication sur lequel les informations fournies par des tiers sont transmises ou stockées temporairement, dans le seul but d’améliorer l’efficacité de la transmission. Cette activité revêt un caractère purement technique, automatique et passif, qui implique que le prestataire de services de la société de l’information n’a pas la connaissance ni le contrôle des informations transmises ou stockées. (…)”.

[6] Rapport fait au nom de la Commission des Affaires Culturelles, Familiales et Sociales sur le projet de loi, modifié par le sénat, modifiant la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, par M. Didier Mathus, Député, lequel précise, à propos des articles 43-7 et 43-8 de la loi de 1986 modifiée par la loi du 1er août 2000, respectivement consacrés consacrés aux fournisseurs d’accès à internet et aux hébergeurs : “on retrouve là les deux fonctions considérées par le rapport du Conseil d’Etat “Internet et les réseaux numériques” (2 juillet 1998) comme relevant de “l’intermédiation technique” : la fourniture d’accès (“commercialisation de la prestation technique d’interconnexion d’équipements privés avec infrastructure IP”) et l’hébergement de site (“fonction consistant à gérer les ressources informatiques connectées à l’Internet”). Egalement en ce sens, L. Thoumyre, Lamy Communication, n°464-18.

[7] L’origine des données - expressément visée par l’article 14 de la directive et implicitement entendue par la loi française - fut ainsi intégrée à la définition légale, laquelle conserva la précision afférente à la mise à disposition du public des données stockées, absente de la directive.

[8] Rapport n° 345 (2002-2003) de MM. Pierre HÉRISSON et Bruno SIDO, fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 11 juin 2003 ; Examen des articles, Article 2.

[9] Laquelle est définie comme « toute transmission, sur demande individuelle, de données numériques n’ayant pas un caractère de correspondance privée, par un procédé de communication électronique permettant un échange réciproque d’informations entre l’émetteur et le récepteur » (Art. 1.IV, alinéa 4, de la LCEN).

[10] Qu’il s’agisse des plateformes de blogging, telles que Over-Blog, Typepad, ou Skyblog, ou les réseaux sociaux, tels que Myspace ou Facebook.

[11] Troisième partie du rapport précité.