21janv. 2009
La copie privée est-elle (juridiquement) légitime ?
Par Matthieu Mélin 9 · article précédent · article suivant ·
C’est la question qui surgit à la lecture de deux récents arrêts par lesquels la Cour de cassation juge qu’un consommateur fondant une action sur la copie privée est irrecevable à agir. Les faits de chacune des deux affaires sont similaires : deux consommateurs font l’acquisition pour l’un d’un DVD du film « Mulholland Drive », pour l’autre d’un CD de Phil Collins. De retour chez eux, ils constatent la présence d’un dispositif anti-copie sur le DVD/CD qu’ils ont acquis. Le premier ne peut pas copier son DVD sur une cassette VHS, et le second ne peut pas copier son CD sur le disque dur de son ordinateur. Les deux consommateurs décident alors d’assigner les producteurs du DVD pour le premier et du CD pour le second.
« Pas de droit, pas d’action », ou l’absence d’un intérêt légitime
Après plus de cinq années de procédure, la Cour de cassation a jugé les 19 juin et 28 novembre 2008 que la copie privée ne serait pas un droit mais une exception, et qu’elle ne constituerait donc pas un intérêt légitime susceptible de fonder une action en justice. Une action fondée sur la copie privée à titre principal est ainsi « irrecevable ». La copie privée resterait néanmoins opposable en défense par un consommateur poursuivi pour contrefaçon[1].
Juridiquement, la recevabilité est le droit pour une personne de saisir un tribunal d’une prétention qu’il forme à l’égard d’un adversaire. Lorsque le juge se prononce sur la recevabilité il ne statue pas sur la validité et la pertinence des arguments de chacune des parties (ce qu’on appelle le bien fondé de l’action), mais uniquement sur le point suivant : le demandeur a-t-il le droit de saisir un juge de sa demande ? Le droit de porter une prétention devant un juge est en effet soumis à une condition : la personne qui agit en justice doit avoir un « intérêt légitime » au succès de sa prétention[2]. C’est-à-dire que son action doit être destinée à lui procurer un avantage légitime. A défaut son action est irrecevable.
En l’espèce, la Cour de cassation indique que l’intérêt légitime doit être un intérêt « juridiquement » (arrêt du 19 juin) ou « légalement » (arrêt du 28 novembre) protégé. Cette formule suggère que l’intérêt légitime doit consister en un droit. Or, la Cour de cassation juge que la copie privée n’est pas un droit. Partant, elle ne constitue pas un intérêt légitime et ne peut pas fonder une action. CQFD. La cour d’appel de Paris, dont les arrêts firent l’objet des pourvois ayant donné lieu aux décisions de la Cour de cassation, avait résumé cette règle selon l’adage classique, plus prosaïque et plus parlant : « pas de droit, pas d’action »[3].
Au regard de la procédure civile, cette solution suscite une certaine perplexité. Une jurisprudence constante et fournie retient en effet une position exactement inverse, en jugeant que « l’existence du droit invoqué par le demandeur n’est pas une condition de recevabilité de son action mais de son succès »[4]. L’idée est ici que l’existence d’un droit ou, comme en l’espèce, son inexistence, ont trait au fondement de l’action, c’est-à-dire aux arguments développés par les parties pour appuyer leurs prétentions. L’intérêt à former une prétention et à la porter devant un juge (la recevabilité) ne dépend donc pas, du moins en théorie, de la pertinence des moyens invoqués à son soutien (le bien fondé).
Quoiqu’il en soit, en matière de copie privée, la Cour de cassation ne partage manifestement pas ce raisonnement et affirme que celle-ci ne constitue pas un droit susceptible de fonder une action à titre principal. C’est-à-dire qu’une personne n’est pas recevable à agir sur le fondement de l’article L.122-5 du Code de la propriété intellectuelle à l’encontre d’un auteur ou d’un ayant droit qui lui interdirait d’effectuer une copie privée de son œuvre.
Cette solution semblera peu satisfaisante à l’amateur de cinéma ou de musique qui a fait l’acquisition d’un DVD ou d’un CD et qui ne peut pas le copier. Elle est aussi troublante dans son principe puisqu’ici ce n’est pas seulement le « droit » de copier qui est refusé au consommateur, mais le droit au juge.
Certes, la loi du 1er août 2006 dite DADVSI a introduit dans le Code de la propriété intellectuelle la possibilité pour le consommateur de saisir l’Autorité de Régulation des Mesures Techniques (ARMT), autorité administrative indépendante chargée de veiller sur les modalités de mise en œuvre des mesures techniques de protection, d’un différend qui l’opposerait à un titulaire de droit interdisant la copie privée par le biais d’un dispositif technique. Cette possibilité n’était cependant pas ouverte aux consommateurs dans les affaires « Mulholland » et « Phil Collins », puisque les faits étaient antérieurs à l’entrée en vigueur de la loi DADVSI. Au demeurant, cette nouvelle voie procédurale n’a pas encore convaincu les plaideurs. Au 26 Novembre 2008, l’ARMT indiquait n’avoir été saisie d’aucun recours depuis sa création[5].
Le serait-elle que l’une des premières questions qu’elle pourrait avoir à trancher serait celle de la… recevabilité d’une telle saisine ! L’article R.331-15 du Code de la propriété intellectuelle dispose en effet que l’ARMT peut rejeter pour irrecevabilité une demande lorsque son auteur ne justifie pas d’un intérêt à agir. Or, les décisions de l’ARMT sont soumises au contrôle de la cour d’appel de Paris, et donc in fine à celui de la Cour de cassation, qui ont toutes deux jugé qu’une demande fondée sur l’exception de copie privée ne constitue pas un intérêt légitime…
Il sera donc intéressant d’observer si l’ARMT adopte une position similaire à celle adoptée par la Cour de cassation en juin et novembre dernier, en déclarant irrecevables les recours formés par des consommateurs qui ne peuvent réaliser une copie privée, en ce que cette solution remettrait directement en cause sa mission de régulation des différends entre consommateurs et titulaires de droits. L’ARMT pourrait au contraire revenir à une acception plus classique de la notion d’intérêt à agir, lequel ne serait pas subordonné à la démonstration d’un « droit à la copie privée »… mais au risque, alors, de discréditer la position la plus récente de la Cour de cassation.
Un préjudice, une faute, ou l’intérêt légitime retrouvé
Les développements qui suivent relèvent plus d’un jeu intellectuel que d’une véritable analyse juridique. Ils ne portent pas sur les recours formés devant l’ARMT dont la position sur la question de la recevabilité n’est pas encore connue. En prenant en compte les règles nouvellement fixées par la Cour de cassation pour exercer une action recevable en matière de copie privée, le consommateur qui se voit interdire d’effectuer une copie privée dispose-t-il, en dehors de l’article L.122-5 du Code de la propriété intellectuelle, d’un droit légalement protégé sur lequel il pourrait fonder une action devant les tribunaux ?
Les articles 1382 et 1383 du code civil posent en principe général que toute personne qui souffre un préjudice à raison de la faute d’autrui dispose d’un droit à réparation qu’elle peut opposer à la personne qui a causé ce préjudice, y compris par négligence. Si l’auteur ou ses ayants droit ne violent pas un « droit » du consommateur en interdisant la copie privée, il pourrait néanmoins être soutenu qu’ils lui causent un préjudice et que ce préjudice est le résultat d’une faute. Sur ce fondement, le consommateur disposerait d’un droit à réparation « juridiquement » ou « légalement » protégé par le code civil. C’est-à-dire qu’il disposerait d’un intérêt légitime à invoquer lui ouvrant la voie d’une action recevable.
En théorie, le simple fait de se fonder sur le droit à réparation des articles 1382 et 1383 du code civil devrait suffire à constituer un intérêt légitime, puisqu’il est juridiquement protégé. Mais essayons de justifier le recours à ces articles en envisageant la nature du préjudice qui pourrait être subi par le consommateur et de la faute qui pourrait être commise par les ayants droit.
Si le consommateur n’est pas titulaire d’un droit, quelle faculté exerce-t-il lorsqu’il effectue une copie à titre privé, et de quoi est-il privé lorsqu’on lui interdit de réaliser de telles copies ? La réponse, complexe, peut être synthétisée comme suit :
le consommateur ne peut pas se prévaloir d’un ‘’droit à la copie privée’’. Il n’a donc pas un droit subjectif, dans son patrimoine, qu’il peut opposer au titulaire des droits. S’il est libre de réaliser une copie privée, il n’en est pas, pour autant, titulaire d’un droit subjectif à copier. La liberté ne se métamorphose pas automatiquement en droit subjectif ![6]
La copie privée serait donc une simple liberté. Cette liberté ne constitue pas un « droit opposable » à l’auteur d’une œuvre ou à ses ayants droit. Un consommateur ne peut donc pas exiger d’un auteur que ce dernier lui donne les moyens de réaliser une copie privée (par exemple, en diffusant son œuvre sur un support aisément copiable). Inversement, rien ne prohibe la copie privée. Une personne qui réalise cet acte ne viole aucune loi. Chacun est libre de réaliser ou non la copie d’une œuvre à des fins privées. Il pourrait donc être soutenu qu’en interdisant la copie privée, l’auteur ou ses ayants droit portent atteinte à cette liberté du consommateur et lui causent un préjudice.
La liberté d’effectuer des copies à des fins privées fait l’objet d’une reconnaissance législative et d’une certaine forme de protection contre les atteintes qui pourraient lui être portées. L’article L.122-5 du code de la propriété intellectuelle dispose ainsi que « Lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire : (…) 2° Les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective (…) ». Il en résulte que l’auteur n’a pas le droit d’interdire la copie privée. Il n’en a pas non plus la liberté puisque le Code de la propriété intellectuelle contient une interdiction expresse. C’est, en quelque sorte, une obligation de ne pas porter atteinte à la liberté du consommateur de réaliser une copie à des fins privées.
Il en résulte que l’auteur n’a pas le droit d’interdire la copie privée. Il n’en a pas non plus la liberté (je vous vois venir) puisque le Code de la propriété intellectuelle contient une interdiction expresse. C’est, en quelque sorte, une obligation de ne pas porter atteinte à la liberté du consommateur de réaliser une copie à des fins privées.
Bien entendu, les aspects brièvement développés ci-dessus ne présagent en rien de l’existence d’un préjudice ou de la réalité d’une faute. Néanmoins, le consommateur peut le soutenir. Dans cette hypothèse, le consommateur pourrait fonder son action sur le droit à réparation qui lui est reconnu par les articles 1382 et 1383 du Code civil, en raison de l’atteinte portée à l’une de ses libertés. Son action serait alors fondée sur un droit «juridiquement » ou « légalement » protégé par le code civil et son action serait recevable. Une action exercée sur le fondement des articles 1382 et 1383 du Code civil serait-elle pour autant bien fondée ? C’est un autre débat, à trancher par… le juge !
Notes
[1] Mais réaliser une copie privée d’une œuvre protégée par un dispositif anti-copie supposerait cependant de faire sauter ledit dispositif, ce qui est une infraction pénalement sanctionnée.
[2] Article 31 du code de procédure civile.
[3] 4 avril et 20 juin 2007.
[4] Civ., 3ème, 18 juin 2008, pourvoi 07-14852 ; Civ., 2ème, 18 octobre 2007, pourvoi 06-19677 ; Civ., 3ème, 1er avril 2003, pourvoi 02-10096 ; Civ., 3ème, 27 janvier 1999, Bull. 1999, III, N° 19.
[5] ARMT, Rapport Annuel 2008, décembre 2008, p. 31.
[6] Citation du Professeur Caron que je prie de m’excuser, car elle est sortie de son contexte. C. Caron, ”Affaire Mulholland Drive : suite et (peut-être) épilogue !’’, CCE n° 5, Mai 2007, comm. 68.
Bonjour,
C’est un article intéressant, merci : )
À mon sens, les MTP sont censées permettre la copie privée par défaut ; la seule limite est celles des risques d’une exploitation anormale ou d’une atteinte injustifiée aux intérêts légitimes des ayants-droit (L331-9 CPI). Veiller à ce que la copie privée prime sur les MTP sauf si de tels risques existent relève des missions principales de l’ARMT (L331-8 al. 2). Elle le fait sur demande de « toute personne bénéficiaire des exceptions » telles que la copie privée (L331-13).
La loi prévoit donc expressément que les bénéficiaires de l’exception de copie privée puissent, sur la base de cette seule dénomination, ouvrir une action pour dénoncer une MTP qui leur ferait obstacle dans l’exercice de cette exception. La loi prévoit également expressément le cas où l’ARMT ferait droit à la demande de ces bénéficiaires (avec astreintes éventuelles pour l’autre partie, L331-15 al. 2).
Il me semble donc que l’ARMT ne puisse pas suivre le même raisonnement que celui de la Cour de cassation sans remettre totalement en cause ses obligations légales. D’ailleurs, pourquoi serait-elle tenue de suivre la solution Mulholland Drive puisque, comme vous le signalez, celle-ci s’applique à des faits antérieurs à la constitution de l’ARMT, et aux nouveautés de la loi DADVSI ?
Au contraire ; je pense que dans l’hypothèse où une affaire initialement soumise à l’ARMT (donc relevant de la loi DADVSI), puis à la cour d’appel de Paris, atterrirait devant la Cour de cassation, c’est cette dernière qui adapterait sa jurisprudence, faute de quoi elle nierait la hiérarchisation effectuée par la loi DADVSI.
Qu’en pensez-vous ?
@Melodawny : Merci pour votre commentaire.
Sur vos deux questions :
1. L’ARMT peut-elle suivre le même raisonnement que celui de la Cour de cassation sans remettre totalement en cause ses obligations légales ?
Il y aurait en effet une certaine absurdité (doux euphémisme) à ce que les consommateurs, auxquels la loi permet de saisir l’ARMT de tout différend portant sur les restrictions que les dispositifs anti-copie apportent à la copie privée, voient leurs demandes rejetées pour défaut d’intérêt à agir. C’est pourtant une problématique que l’ARMT pourrait avoir à régler si elle est un jour saisie par un consommateur ET si le titulaire des droits soulevait l’irrecevabilité.
Dans cette hypothèse, le débat juridique porterait sur la notion de l’intérêt à agir prévu par l’article R.331-15 CPI qui est une question de pure procédure. Le fait que la compétence d’attribution de l’ARMT couvre spécifiquement la copie privée n’entrera normalement pas en ligne de compte. La question de la compétence d’attribution (c’est-à-dire, quelle est la juridiction compétente pour connaître d’une matière donnée) se distingue en effet de la question de l’intérêt à agir (c’est-à-dire de l’existence d’un intérêt légitime à former une prétention donnée). La position de l’ARMT sur ces aspects sera donc à suivre avec intérêt.
2. Pourquoi l’ARMT serait-elle tenue de suivre la solution Mulholland Drive puisque celle-ci s’applique à des faits antérieurs à la constitution de l’ARMT, et aux nouveautés de la loi DADVSI ?
Les points de droits interprétés par la Cour de cassation pour conclure à l’irrecevabilité sont, d’une part, la notion de copie privée visée à l’article L.122-5 CPI et, d’autre part, la notion d’intérêt à agir visée par l’article 32 du Nouveau code de procédure civile.
La loi DADVSI, intervenue en 2006, n’a pas fondamentalement modifié la définition de la copie privée qui existait en 2003, si ce n’est pour en limiter la portée en introduisant dans la loi le test des trois étapes et la notion « d’exception ». La loi DAVDSI n’a pas touché à la définition de l’intérêt à agir.
Dès lors, les jurisprudences Mulholland Drive et Phil Collins restent d’actualité.
L’ARMT peut parfaitement décider de ne pas suivre la solution dégagée par la Cour de cassation. De même, si l’affaire faisait à nouveau son chemin jusqu’à la Cour de cassation, cette dernière aurait la possibilité de revenir à l’interprétation classique de la notion d’intérêt à agir.
Quant à savoir si elle le ferait… Elle ne semble en tout cas pas en prendre le chemin.
Bonjour et merci de votre réponse ! À vrai dire je n’avais pas envisagé que l’intérêt à agir puisse à ce point être un obstacle. Partant du principe que la loi prévoit exactement la possibilité d’agir en contestation d’une MTP parce qu’elle fait obstacle à la copie privée (et ce de façon intégrale, de la saisine jusqu’à l’aboutissement éventuellement favorable au particulier), il me semblait tout à fait paradoxal pour une juridiction, quelle qu’elle soit, d’affirmer à nouveau de façon générale et absolue que la copie privée ne pouvait pas fonder une action ! (Bon certes, dans les faits, vu l’absence de saisine de l’ARMT, on pourrait le penser. )
La procédure prévue par les articles L331-13 CPI et suivants ne servirait donc à rien ? ou ai-je loupé qqchose ?
Encore merci pour votre réponse.
La saisie de l'ARMT ne se fait pas sur la base d'un droit à la copie privée tel que définit par l'article L122-5, mais sur la base du L331-13. Dès lors l'autorité ne se prononcera pas sur la nature de l'exception copie privée mais sur l'adéquation des MTP au regards des articles L331-5 et suivants. Dans ce cadre l'arrêt significatif de la cours de cassation et celui de la Première chambre civile du 28 février 2006 sur le test en trois etapes qui permettra a l'autorite de rejetter toutes demande, justifiant toute restriction sauf les plus manifestement abusive ( en restera t'il vu l'arrêt que la cours d'appel n'a pas tenu bon d'étayer, ne retenant que la manque d'interet a agir, et ne se prononcant pas sur le test en trois etapes... )
Bonjour, et merci de vos commentaires.
@Melodawny : Sur l’utilité de la procédure prévue par les articles L.331-13s CPI, la dernière jurisprudence de la Cour de cassation semble en effet aboutir à une contradiction…
@dwarfpower : En effet, la possibilité de saisir l’ARMT est ouverte par l’article L.331-13 CPI.
Mais la question demeure, et tient à l’articulation entre l’article L.331-13 CPI, l’article R.331-15 CPI et la jurisprudence de la Cour de cassation. L’article R.331-15 CPI dispose que l’ARMT, une fois saisie conformément à l’article L.331-13 CPI, peut rejeter une demande lorsque son auteur ne justifie pas d’un intérêt à agir. C’est à dire que l’intérêt à agir serait une condition de la recevabilité de la saisine. La Cour de cassation semble considérer qu’en matière de copie privée, l’intérêt à agir doit se matérialiser par un droit (ce que ne serait pas la copie privée).
La question est donc: sur quel droit fonder une demande recevable devant l’ARMT?
N’oubliez pas que l’ARMT n’est pas une autorité judiciaire. La décision de la cour de cassation ne s’impose pas à elle, et elle ne peut donc l’utiliser pour écarter une demande. La loi, lorsqu’elle définit la procédure de saisie créé l’intérêt a agir.
La version initiale du texte ne prévoyait pas de possibilité pour les bénéficiaires des exceptions de saisir l’autorité; un amendement a créé cette possibilité et s’impose donc à cette dernière. Par contre, elle peut systématiquement retenir la légitimité des obstacles au regards du test en trois étapes et rejeter les demandes.
@dwarfpower :
Bonjour et merci pour votre commentaire.
Pour vous répondre, il me paraît difficile d’adhérer à la première partie de votre propos selon lequel les décisions de la Cour de cassation ne s’imposeraient pas à l’ARMT, et ce bien qu’il s’agisse d’une autorité administrative indépendante.
Il ne vous aura en effet pas échappé que les décisions rendues par l’ARMT peuvent faire l’objet d’un recours devant la Cour d’appel de Paris (article L.331-15 CPI) et donc, in fine, devant la Cour de cassation.
La Cour d’appel de Paris et la Cour de cassation pourraient donc avoir à exercer leur contrôle sur une décision rendue par l’ARMT.
A cet égard, le fait que la possibilité de saisir l’ARMT ait été ou non introduite par voie d’amendement ne me paraît pas de nature à modifier les données de l’analyse juridique.
Il me paraît également difficile d’affirmer, sauf à ce que vous développiez votre fil de pensée, que l’article L.331-13 du CPI a créé un intérêt à agir par le simple fait d’avoir introduit la possibilité de saisir l’ARMT. Aux termes de l’article R.331-15 CPI, c’est l’intérêt à agir qui serait une condition de recevabilité des saisines de l’ARMT, et non le fait de saisir l’ARMT qui justifierait un intérêt à agir.
Ceci étant dit, l’une des tâches de l’ARMT (à supposer qu’elle soit saisie avant d’être remplacée par l’HADOPI), sera de concilier sa mission avec la jurisprudence de la Cour de cassation.
La décision de la cours de Cassation rappelle que le L122-5 ne définit que des exceptions au monopole de l'auteur, et qu'à ce titre un tiers ne peut s'en prévaloir pour fonder à titre principal une action en justice.
Une saisie de l'ARMT, furent ses décisions contestables devant la cours d'appel de Paris, ne se fait pas au titre du L122-5 mais du L331-13/L331-8. Il ne s'agit pas d'une action en justice, et le fondement de l'action est explicitement prévue par la loi instituant l'ARMT. Je pense donc toujours que la jurisprudence de la cours de cessation dur l'exception copie privée ne s'applique pas d'une part parce qu'elle définit les modalité d'action en justice, et d'autre part car elle concerne le L122-5 et non les L331.
Je reconnais que l'origine du L331-13, introduit par voie d'amendement, n'en modifie pas la portée, mais son existence, et son caractère univoque, ne laisse pas de doute sur la légitimité d'une action a titre principal auprès de l'ARMT, sauf à supposer que la cours de cassation s'oppose au texte de cet article, mais elle sortirait là de son rôle constitutionnel non ?
@dwarfpower :
Bonjour,
Sur vos deux points.
1. Une saisie de l’ARMT, furent ses décisions contestables devant la Cour d’appel de Paris, ne se fait pas au titre du L122-5 mais du L331-13/L331-8.
Pour schématiser, il existe une distinction entre d’une part le droit de saisir une juridiction (ou l’ARMT) d’une demande et, d’autre part, le fondement de cette demande.
En l’espèce, le droit de saisir l’ARMT correspond au droit de lui présenter une demande. Ce droit est prévu par l’article L.331-13 CPI.
Le fondement de la demande correspond pour sa part aux arguments invoqués à l’appui de celle-ci pour convaincre l’ARMT qu’elle doit vous donner raison. En l’espèce, il s’agirait des arguments invoqués pour convaincre l’ARMT qu’un dispositif anti-copie porte atteinte à la faculté qui vous est donnée par la loi d’effectuer des copies à des fins privées.
Les arguments qu’il est possible d’invoquer devant l’ARMT sont encadrés. En reprenant le texte de l’article L.331-13 CPI, on lit ainsi que l’objet d’une demande soumise à l’ARMT doit être l’atteinte à l’une des exceptions mentionnées à l’article L.331-8 CPI. Ledit article L.331-8 CPI mentionne l’exception de copie privée et renvoie expressément au 2°) de l’article L.122-5 CPI.
Une demande soumise à l’ARMT serait donc fondée, directement ou indirectement par le biais de l’article L.331-8 CPI, sur la définition de la copie privée donnée par l’article L.122-5 CPI.
En revanche, l’un des apports de l’article L.331-8 CPI (qui est peut-être celui que vous souhaitiez souligner) est que celui ci “garantit” le “bénéfice de l’exception pour copie privée”. Reste à savoir si l’emploi des termes “garantir” et “bénéfice” peut faire naître un droit. Une telle interprétation donnerait sans doute lieu à débats.
2. La jurisprudence de la cour de cassation sur l’exception copie privée ne s’applique pas d’une part parce qu’elle définit les modalité d’action en justice, et d’autre part car elle concerne le L122-5 et non les L331.
Les décisions de la Cour de cassation portent sur la notion d’intérêt à agir, notion qui se retrouve à la fois dans les articles 32 NCPC pour les juridictions de l’ordre judiciaire, et R.331-15 CPI pour l’ARMT.
Sauf à ce que vous développiez votre ligne de pensée, il est difficile de justifier une interprétation différente de cette notion suivant le forum choisi pour porter sa demande (Tribunal ou ARMT, 32 NCPC ou R.331-15 CPI). Vous me rétorquerez que la Cour de cassation adapte bien son interprétation de la notion d’intérêt à agir en fonction de la matière traitée (copie privée vs. reste du droit), et vous n’aurez pas tort…
A titre accessoire, et pour alimenter votre réflexion sur la qualification de l’ARMT (juridiction ou non), le statut d’Autorité Administrative Indépendante n’est pas exclusif de celui de juridiction. Ainsi, le Conseil d’Etat a récemment jugé que la CNIL, eu égard à sa nature, à sa composition et à ses attributions, peut être qualifiée de tribunal au sens de l’article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Je ne développe pas ce point car il s’écarte de trop du billet d’origine et qu’il n’apporte pas, à mon sens, d’éclairage particulier sur la question de la recevabilité.