N° de pourvoi : 10-13570
Publié au bulletin

CASSATION

M. Charruault, président
M. Gallet, conseiller rapporteur
Mme Petit (premier avocat général), avocat général
SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP Piwnica et Molinié, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :

Attendu que M. Gilles X. et Mme Paule X. (les consorts X.), ayant formé le projet de faire publier la correspondance échangée, durant plus de vingt années, entre René Y. et leur mère, Tina Z., ainsi qu’entre l’écrivain et leur grand-mère, Maria Z., et eux-mêmes et s’étant heurtés au refus de Mme Marie-Claude A. épouse Y., instituée par son mari, selon un testament olographe du 14 mars 1987, légataire universelle et chargée, avec Tina Z., légataire particulier de certains biens, de veiller à l’ensemble de son oeuvre, ont fait assigner Mme Y. pour être autorisés à faire publier cette correspondance, en prétendant que le refus opposé par l’exécuteur testamentaire constituait un abus notoire dans l’exercice du droit moral dont elle était investie ;

Sur le premier moyen du pourvoi principal de Mme Y., pris en sa première branche :

Vu l’article 1315 du code civil, ensemble les articles L. 121-2 et L. 121-3 du code de la propriété intellectuelle ;

Attendu que pour dire abusif l’usage fait par Mme Y. de son droit de divulgation en refusant la publication des lettres échangées entre René Y. et Tina Z., l’arrêt retient que lorsque la personne investie du droit de divulgation post mortem, qui ne dispose pas d’un droit absolu mais doit exercer celui-ci au service des oeuvres et de leur promotion, conformément à la volonté de l’auteur, s’oppose à cette divulgation, il lui incombe de justifier de son refus en démontrant que l’auteur n’entendait pas divulguer l’oeuvre en cause et que sa divulgation n’apporterait aucun éclairage utile à la compréhension et à la valorisation des oeuvres déjà publiées ;

Qu’en inversant ainsi la charge de la preuve, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

Sur le premier moyen du pourvoi incident des consorts X…, pris en sa première branche :

Vu l’article L. 331-4 du code de la propriété intellectuelle ;

Attendu que, pour condamner les consorts X. à indemniser Mme Y. en raison de la reproduction, dans leurs conclusions, de plusieurs lettres et donc de leur divulgation, l’arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que ces lettres avaient été reproduites sans l’autorisation de Mme Y. et sans en avoir demandé l’autorisation au juge de la mise en état et que, si la demande de production de tels documents se heurtant au secret des correspondances avait été faite, le juge de la mise en état l’aurait vraisemblablement accueillie mais en la limitant dans son volume et en fixant le mode de production, à savoir en pièces communiquées et non dans le corps des conclusions ;

Qu’en statuant ainsi, après avoir retenu que la production de ces lettres était utile à la démonstration qu’entendaient faire les consorts X. de l’intérêt de la publication de ces documents pour mieux comprendre René Y., quand la production et la reproduction desdites lettres n’étaient pas soumises à l’autorisation du juge de la mise en état, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

Et sur le second moyen du même pourvoi incident :

Vu l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 ;

Attendu que, pour condamner les consorts X. à indemniser Mme Y., l’arrêt retient le caractère diffamatoire des passages de leurs conclusions insinuant qu’elle a oeuvré pour laisser perdre certains documents et pour faire disparaître toutes traces des autres compagnes ou amantes de René Y. ;

Qu’en statuant ainsi, quand les passages incriminés, produits devant la juridiction saisie, tendaient à fonder le caractère abusif du refus de publication imputé à Mme Y. par les consorts X., la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 4 décembre 2009, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Lyon ;

Laisse à chaque partie la charge des dépens afférents à son propre pourvoi ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf juin deux mille onze.


Note correspondante : la volonté de divulguer une oeuvre posthume peut-elle être présumée ?