N° de pourvoi : 01-12307

REJET

Président : M. TRICOT

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l’arrêt suivant :

Statuant, tant sur le pourvoi principal de la SA La Redoute et de la Société nouvelle d’expansion La Redoute, que sur les pourvois incident et provoqué de la société Créations Eliane ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, (Paris, 28 mars 2001), que la société Marlent a judiciairement poursuivi la SA La Redoute et la SA Société nouvelle d’expansion La Redoute (la société SNER) afin d’obtenir la condamnation de la seconde de ces sociétés pour contrefaçon de dessins et concurrence déloyale ; que la société SNER a contesté les droits de la société Marlent sur ces dessins, et a appelé en garantie la société Créations Eliane, auprès desquels elle s’était fournie des effets vestimentaires litigieux, ensuite commercialisés par ses soins ;

Sur le premier moyen du pourvoi principal, et sur le premier moyen du pourvoi provoqué, rédigés en termes identiques, et pris en leurs quatre branches, les moyens étant joints :

Attendu que la SA La Redoute, la société SNER et la société Créations Eliane font grief à l’arrêt d’avoir dit qu’en offrant à la vente et en vendant les articles reproduisant le modèle de dessin déposé par la société Marlent le 7 février 1995, la société SNER avait commis des actes de contrefaçon à l’encontre de cette dernière, alors, selon le moyen :

1 / qu’il appartient à la partie alléguant la contrefaçon de ses droits d’auteur d’établir l’existence de ces droits ; qu’à ce titre une personne morale ne peut jamais être titulaire originaire de droit d’auteur, mais seulement investie de tels droits lorsque l’oeuvre protégée peut être qualifiée de collective et a été divulguée sous son nom ; qu’une personne morale ne peut donc bénéficier d’une quelconque présomption de titularité de droits d’auteur, dès lors que n’est pas établie la qualification d’oeuvre collective de l’oeuvre arguée de contrefaçon, ou la cession de droits d’exploitation par les auteurs personnes physiques de l’oeuvre exploitée ; qu’en l’espèce, en considérant que le dépôt constituait en soi un acte de possession, et qu’en l’absence de revendication de la ou des personnes physiques qui en serait l’auteur, la société Marlent, personne morale, devait être titulaire des droits d’auteur sur le dessin litigieux, quelle qu’ait été la qualification de l’oeuvre en cause, la cour d’appel a violé les articles L. 111-1, L. 113-1, L. 113-2 et L. 113-5 et suivants du Code de la propriété intellectuelle ;

2 / qu’en faisant bénéficier la société Marlent d’une présomption de titularité des droits d’auteur réservée aux seules personnes physiques, hormis l’exception relative à la protection des oeuvres collectives, sans avoir à aucun moment caractérisé l’existence d’une telle oeuvre collective, quand elle avait au contraire relevé que la société Marlent n’avait pas justifié de l’existence de son bureau de style, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 113-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle ;

3 / que la société SNER soutenait en l’espèce que les dépôts avancés par la société Marlent étaient frauduleux ; qu’en effet, cette société, qui n’employait que vingt-et-un salariés, et dont l’objet consistait en l’import-export en gros et le négoce d’articles textiles, mais non en leur création, et dont la cour d’appel relevait elle-même qu’elle ne justifiait aucunement de l’existence de son bureau de style, déposait pourtant chaque année à l’INPI plusieurs milliers de dessins et modèles, soit plus que de grandes sociétés internationales employant plusieurs centaines de créateurs et investissant plusieurs dizaines de millions de francs dans l’élaboration de nouveaux modèles ; que ces circonstances rendaient pour le moins suspects les dépôts allégués par la société Marlent ; qu’en écartant toute fraude entachant lesdits dépôts, au seul prétexte inopérant que les sociétés exposantes n’opposaient aucun droit privatif à la société Marlent, sans à aucun moment prendre en considération les circonstances précitées, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 113-1 et suivants et L. 511-2 du Code de la propriété intellectuelle ;

4 / que la contrefaçon suppose la conscience du contrefacteur d’y participer ; que la contrefaçon d’un dessin suppose que sa copie frauduleuse soit effectuée sciemment par le contrefacteur, qui doit donc être de mauvaise foi ; qu’il incombe à cet égard à la partie qui invoque la contrefaçon, même au civil, d’établir cette mauvaise foi du contrefacteur supposé, à tout le moins s’agissant de faits antérieurs à la publicité du dépôt réalisé auprès de l’INPI, marquant le début de la protection ; que s’agissant des faits postérieurs à la publicité, la présomption de mauvaise foi peut être renversée par la preuve contraire, susceptible d’être rapportée par tous moyens ; qu’en l’espèce, en affirmant à tort que la bonne foi invoquée par la société SNER était inopérante en matière de contrefaçon, la cour d’appel a violé les articles L. 521-2 et L. 521-4 du Code de la propriété intellectuelle ;

Mais attendu, en premier lieu, que la cour d’appel a décidé à bon droit qu’en l’absence de revendication de la propriété du dessin par la ou les personnes physiques les ayant réalisés, leur dépôt par la société Marlent faisait présumer à l’égard des tiers contrefacteurs qu’elle en était titulaire, quelle que soit la qualification de l’oeuvre en cause ;

Attendu, en deuxième lieu, qu’ayant constaté que les sociétés SNER et Créations Eliane n’opposaient aucun droit privatif à la société Marlent, la cour d’appel a légalement justifié sa décision d’écarter le moyen tiré d’un dépôt frauduleux, qui supposait une atteinte à de tels droits privatifs ;

Et attendu enfin que l’arrêt faisant droit à l’action en contrefaçon sur le fondement, tant de la protection du droit d’auteur que de celle des dessins déposés, le moyen, qui se borne à critiquer la décision de ce second chef, est inopérant en sa quatrième branche ;

D’où il suit que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le second moyen du pourvoi principal, et sur le second moyen du pourvoi provoqué, rédigés en termes identiques, et pris en leurs trois branches, les moyens étant joints :

Attendu que la SA La Redoute, la société SNER et la société Créations Eliane font encore grief à l’arrêt d’avoir condamné la société SNER à payer à la société Marlent la somme de 150 000 francs à titre de dommages-intérêts, d’avoir autorisé cette société à faire publier le dispositif de la décision dans un journal ou une revue de son choix aux frais de la société SNER, et d’avoir ordonné la confiscation de tout produit qui serait encore en possession de la société SNER, pour leur remise aux fins de destruction, alors, selon le moyen :

1 / que la cour d’appel, qui avait constaté que la société Marlent reconnaissait elle-même qu’elle avait cessé d’exploiter le modèle en cause lors de la commission des faits reprochés, et constaté par là-même l’absence de perte ou de manque à gagner subi par la société Marlent, n’a, à aucun moment caractérisé quel préjudice elle entendait réparer par l’octroi de 150 000 francs de dommages-intérêts ; que la cour d’appel a, partant, privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 et suivants du Code civil et L. 335-7 du Code de la propriété intellectuelle ;

2 / qu’en autorisant la publication de sa décision dans un journal, sans avoir aucunement caractérisé une atteinte à la notoriété de la société Marlent ou une atteinte à son droit d’exploitation, la cour d’appel a derechef privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 et suivants du Code civil et L. 335-7 du Code de la propriété intellectuelle ;

3 / que l’allocation de dommages-intérêts à la victime d’une contrefaçon ne se justifie que si la remise à celle-ci des objets contrefaisants ne constitue pas une réparation suffisante de son préjudice ; que, réciproquement, dès lors que le préjudice résultant de la contrefaçon est entièrement réparé par l’allocation d’une indemnité, il n’y a pas lieu à confiscation, sauf à caractériser un préjudice distinct nécessitant une telle mesure, sous peine d’octroyer à la victime une double réparation pour un même préjudice, méconnaissant de fait le principe de la réparation intégrale ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a elle-même affirmé que le préjudice résultant de la contrefaçon litigieuse serait entièrement réparé par l’allocation d’une somme de 150 000 francs de dommages-intérêts ; qu’en ordonnant en outre la confiscation des produits en vue de leur destruction, sans avoir aucunement caractérisé un préjudice réparable par une telle mesure, autre que celui qu’elle avait entièrement réparé par l’octroi d’une indemnité, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 et suivants du Code civil et L. 335-7 du Code de la propriété intellectuelle ;

Mais attendu, en premier lieu, que la cour d’appel a souverainement apprécié l’étendue et les modalités de réparation du préjudice nécessairement attaché à la contrefaçon ;

Et attendu, en second lieu, qu’ayant décidé que le préjudice résultant de la contrefaçon serait entièrement réparé par l’allocation d’une somme de 150 000 francs, la cour d’appel a pu, sans accorder une double réparation, prononcer la confiscation des produits contrefaits, cette mesure, qui ne tend qu’à faire cesser les faits, n’ayant pas le même objet ;

D’où il suit que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;

Et sur le moyen unique du pourvoi incident :

Attendu que la société Créations Eliane fait grief à l’arrêt de l’avoir condamnée à garantir intégralement la société SNER des condamnations subies au titre de la contrefaçon de dessin, alors, selon le moyen :

1 / qu’à supposer la société SNER coupable de contrefaçon pour être présumée de mauvaise foi, cette mauvaise foi faisait obstacle à ce qu’elle pût être garantie de ses conséquences par son vendeur ; qu’en condamnant celui-ci à garantie, la cour d’appel a donc privé sa décision de base légale au regard des articles 1626 du Code civil et L. 521-2 du Code de la propriété intellectuelle ;

2 / qu’en retenant que la lettre adressée à la société Créations Eliane par son fournisseur lui assurant être l’auteur des imprimés fournis n’était pas de nature à contredire les termes du dépôt opéré le 7 février 1995 par la société Marlent, et ce, du point de vue de la preuve de l’antériorité, sans rechercher si cette lettre n’était pas de nature à établir la bonne foi de la société Créations Eliane, seul sens dans lequel elle était invoquée, la cour d’appel a, en réalité, laissé sans réponse un moyen juridiquement pertinent des conclusions de la société Créations Eliane, en violation de l’article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que l’arrêt constatant par motifs non critiqués que la société Créations Eliane ne conteste pas la demande en garantie formulée à son encontre par la société SNER, le moyen, nouveau et mélangé de fait et de droit, est irrecevable en ses deux branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois, tant principal que provoqué et incident ;

Condamne la société La Redoute France et, la Société nouvelle d’expansion La Redoute-SNER et la société anonyme Créations Eliane aux dépens de leurs pourvois respectifs ;

Vu l’article 700 du nouveau Code de procédure civile, les condamne à payer à la société anonyme Marlent la somme globale de 1 800 euros et rejette leur demande ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept juin deux mille trois.