Le jugement rendu par le TGI de Paris le 9 octobre 2009 est la première application des nouvelles dispositions issues de la loi n°2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, passées relativement inaperçues au milieu de la tornade médiatique “riposte graduée”. Elle met aux prises un éditeur de service de communication au public en ligne et une célèbre présentatrice de télévision s’estimant diffamée sur ledit site. Les conseils de cette dernière, après avoir contacté l’hébergeur physique de l’éditeur de service, constatèrent que malgré un premier retrait, le contenu fût remis en ligne. En réaction à cette nouvelle mise à disposition du public, les conseils considérèrent opportun d’assigner l’éditeur de service de communication au public en ligne en diffamation. Cette espèce fût donc l’occasion rêvée pour le TGI de Paris de mettre à l’épreuve le nouveau régime de responsabilité de l’article 93-3 alinéa 5 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle.

Cette nouvelle disposition prit sa source lors des Etats Généraux de la presse, dont l’ambition était, d’une part, de revendiquer un statut juridique pour les éditeurs professionnels de presse en ligne et, d’autre part, d’adapter le régime juridique de ces derniers pour les contenus communiqués par des internautes par l’intermédiaire de leurs sites. Ces doléances trouvèrent écho dans l’article 27 de la loi susvisée, dite “loi HADOPI”. Est ainsi entendu comme un service de presse en ligne “tout service de communication au public en ligne édité à titre professionnel par une personne physique ou morale qui a la maîtrise éditoriale de son contenu, consistant en la production et la mise à disposition du public d’un contenu original, d’intérêt général, renouvelé régulièrement, composé d’informations présentant un lien avec l’actualité et ayant fait l’objet d’un traitement à caractère journalistique, qui ne constitue pas un outil de promotion ou un accessoire d’une activité industrielle ou commerciale[1]. À en croire cette définition, un service de presse en ligne serait donc une sous-catégorie de celle de “service de communication au public en ligne”.

Or, conformément aux dispositions de l’article 93-2 de la loi n°82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle, le service de presse est tenu de désigner, à l’instar de tous les services de communication au public par voie électronique, un directeur de la publication qui, par fiction juridique, est considéré comme auteur principal du message. Il supporte, par conséquent, une responsabilité de plein droit des contenus diffusés sur le fondement de l’article 93-3 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1982 et ce, dans la limite des infractions prévues par le chapitre IV de la loi du 29 juillet 1881[2]. Afin de ne pas faire encourir une telle responsabilité au directeur de la publication d’un service de presse en ligne lorsqu’un internaute[3] poste un message, le législateur s’est voulu rassurant en greffant un alinéa 5 à l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 au terme duquel :

lorsque l’infraction résulte du contenu d’un message adressé par un internaute à un service de communication au public en ligne et mis par ce service à disposition du public dans un espace de contribution personnelle identifié comme tel, le directeur ou le codirecteur de la publication ne peut pas voir sa responsabilité pénale engagée comme auteur principal s’il est établi qu’il n’avait pas effectivement connaissance du message avant sa mise en ligne ou si, dès le moment où il en a eu connaissance, il a agi promptement pour retirer ce message

Ainsi que le relève le tribunal, en réaction à l’un des arguments de la partie civile, qui manifestement cherchait à écarter le bénéfice de ce régime de faveur pour le gestionnaire du site incriminé, cette disposition “faute d’avoir été réservée aux seuls services de presse en ligne, (…) a vocation à s’appliquer indistinctement à l’ensemble des services de communication au public par voie électronique”. S’il faut abonder dans le sens du TGI lorsqu’il remarque que l’article 93-3 alinéa 5 n’est pas seulement applicable aux services de presse en ligne, en revanche il paraît contra legem d’étendre le bénéfice de ce régime à l’ensemble des services de communication au public par voie électronique. En effet, le texte ne vise que les messages adressés par un internaute à un service de communication au public en ligne, ce qui ne peut englober l’ensemble des services de communication au public par voie électronique, cette dernière catégorie incluant également les services de communication audiovisuelle[4] exclus du champ d’application de l’article 93-3 alinéa 5. En d’autres termes, alors que l’alinéa 1er de l’article 93-3 s’applique certes à l’ensemble des contenus communiqués par un moyen de communication au public par voie électronique, le régime de l’alinéa 5 n’est lui applicable qu’aux seuls services de communication au public en ligne.

En tout état de cause, ce régime de responsabilité n’est pas sans rappeler celui des hébergeurs en matière pénale. Le tribunal concède d’ailleurs à cet égard que ce régime est “directement inspiré du régime juridique jusqu’alors applicable aux seuls fournisseurs d’hébergement visés à l’article 6-I-2 et 3 de la loi du 21 juin 2004”. On ne saurait le dire plus clairement. Jusqu’à la promulgation de la loi du 12 juin 2009, l’éditeur de presse en ligne bénéficiait du régime juridique des hébergeurs, disposition qui ne lui est plus applicable dorénavant. Laissant poindre un désaccord, l’un des premiers commentateurs de cette décision demande de ne pas oublier “que le régime de responsabilité défini par les articles 6.I.2 et 6.I.3 de la LCEN transpose en droit interne les dispositions de la directive « Commerce électronique » (les articles 6.I.2 et 6.I.3 transposent l’article 14 de la directive relatif à la responsabilité pour l’activité d’hébergement)” et s’interroge ainsi sur le fait de savoir si “ces dispositions ne devraient pas prévaloir sur toutes autres normes nationales qui ne seraient pas issues d’une norme supérieure ?”, concluant sur la question suivante : “Et tel n’est-il pas le cas de l’article 93-3 al. 5 de la loi de 1982 ?[5]. Cet appel à la théorie de la hiérarchie des normes, plein d’intérêt, n’est, en fait, qu’un arbre qui cache une forêt d’incertitudes et d’incohérences. Conscient ou non de ce malaise, le tribunal, lié par les textes, fait une application à la lettre de la nouvelle disposition.

D’une application à la lettre…

L’application à la lettre du nouveau régime de responsabilité du directeur de la publication implique préalablement pour le tribunal de se prêter au jeu de l’exercice de qualification.

La recherche d’un directeur de la publication

Dès lors qu’un message est véhiculé par l’intermédiaire d’un service de communication au public par voie électronique et, par extension, par un service de communication au public en ligne, le responsable de premier rang concernant les infractions de presse est, sous réserve de la caractérisation de certains faits générateurs, le directeur de la publication. Néanmoins, avant de lui imputer une quelconque responsabilité, encore faut-il savoir de qui il s’agit. C’est exactement l’exercice auquel se livre le TGI. Traditionnellement, le directeur de la publication est présumé être la personne physique propriétaire ou locataire gérant d’une entreprise éditrice ou qui détient la majorité du capital ou des droits de vote ou encore le représentant légal de l’entreprise éditrice[6]. Si cette présomption de qualité de directeur de la publication trouve sans conteste à s’appliquer lorsque le service de communication au public en ligne est édité à titre professionnel, son application est plus difficile lorsque le service de communication au public en ligne est édité à titre non professionnel. Toutefois, en réponse à cette difficulté, le dernier alinéa de l’article 93-2 de la loi du 29 juillet 1982 selon lequel “lorsque le service est fourni par une personne physique, le directeur de la publication est cette personne physique” vient au secours des magistrats dans leur quête d’identification. Ainsi le TGI relève que le prévenu est le créateur du site, qu’il préparait une nouvelle version du site, qu’il avait souscrit à un service de paiement en ligne spécialement pour le site litigieux, qu’il avait également souscrit un abonnement à un service de régie publicitaire, qu’il disposait des moyens techniques pour mettre le site hors ligne ainsi que d’une copie de sauvegarde du site en question, qu’il était l’un des utilisateurs du pseudonyme “admin” et, enfin, qu’il se présentait comme l’animateur du site litigieux.

L’utilisation de la technique du faisceau d’indices permet donc au TGI d’établir que le prévenu est bien la personne physique qui fournit le service de communication au public en ligne et, qu’à ce titre, il doit, en application de l’article 93-2 susvisé, être qualifié de directeur de la publication. Conséquence directe du raisonnement du TGI, il apparaît que doit être qualifié de fournisseur du service et en application de la règle susvisée de directeur de la publication, la personne qui détient la maîtrise juridique du site. À ce titre, il encourt une responsabilité propre à cette qualité.

La responsabilité du directeur de la publication selon 93-3 al. 5

Dans un premier temps, notons que le tribunal écarte d’un revers de manche les arguments de la partie civile visant à exclure l’application de l’article 93-3 alinéa 5 au motif que les faits étaient antérieurs à l’entrée en vigueur de la loi. Appliquant, a priori, le principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce, le TGI énonce “qu’étant plus favorable aux directeurs de la publication, [l’article 93-3 alinéa 5] leur est d’application immédiate, excluant en cela même que puisse être retenue à leur encontre une complicité de délit de presse par aide ou par fourniture de moyen quand ces derniers peuvent se prévaloir de l’exonération résultant de la disposition nouvelle”.

En outre, le TGI écarte également à l’égard du gestionnaire du site toute responsabilité au titre d’une hypothétique qualité de producteur considérant que “bien que la modification introduite par la loi du 12 juin 2009 laisse prospérer la notion de “producteur”, visée à l’alinéa 2 de l’article 93-3 directement inspirée de la communication audiovisuelle au sens strict et ne pouvant se concevoir en matière de communication en ligne que dans le respect des circonstances et conditions qui en assuraient la justification pour la communication audiovisuelle dans son sens traditionnel, la responsabilité qui s’attache au “producteur” ne saurait, à défaut de circonstances particulières dont il reviendrait à la partie poursuivante de rapporter la preuve, peser systématiquement sur un directeur de la publication qui se trouverait exonéré de responsabilité ès qualité par application de la disposition nouvelle, sauf à vider de sa substance l’article 27-II de la loi du 12 juin 2009”. Malgré la formulation assez énigmatique, un cumul de qualité n’est donc pas exclu par le TGI. Gageons qu’en terme de responsabilité, la mise en œuvre sera, le cas échéant, assez délicate puisqu’il faudra jongler avec les dispositions des alinéas 1 et 5 de l’article 93-3.

Après avoir rappelé les deux régimes applicables au directeur de la publication, à savoir la responsabilité de plein droit en cas de délit de presse dès lors que le message incriminé a fait l’objet d’une fixation préalable[7] et, par dérogation, une responsabilité conditionnée à la connaissance effective du message avant sa mise en ligne ou à une absence de réactivité dès lors que la connaissance est avérée[8], le TGI applique ces textes au concepteur du site sur lequel ont été postés les messages litigieux. Sans surprise, les juges écartent toute responsabilité du gestionnaire du site en tant qu’auteur du message, considérant que “bien que six des dix neuf messages poursuivis soient signés du pseudonyme “admin” dont l’expertise technique effectuée sur le matériel informatique saisi au domicile du prévenu a révélé qu’il pouvait être utilisé par Carl Z., le prévenu ne saurait sur la foi de ce seul élément voir sa responsabilité pénale retenue en tant qu’auteur des messages, en l’absence d’identification possible de l’adresse IP de leur expéditeur, Carl Z. niant en être l’auteur et faisant valoir que ce pseudonyme peut être utilisé par des tiers” et, en profite également pour exclure l’application du régime de responsabilité de l’alinéa 1 de l’article 93-3 en considérant qu’”il ne résulte par ailleurs de l’instruction aucun élément établissant que Carl Z. pourrait être l’auteur intellectuel des autres messages poursuivis”.

Dès lors, il ne restait plus au TGI qu’à examiner si le gestionnaire du site, en tant que directeur de la publication, pouvait être responsabilisé au titre de l’article 93-3 alinéa 5. En d’autres termes, Carl Z. avait-il une connaissance du message posté par un internaute avant sa mise en ligne ou n’avait-il pas agi avec promptitude dès le moment où il avait eu connaissance du message litigieux ? Afin de caractériser cette connaissance le tribunal utilise, une fois de plus, la technique du faisceau d’indices[9], considérant “qu’il résulte des circonstances de l’espèce et tout particulièrement des diligences accomplies par la partie civile auprès de l’hébergeur américain du site mixbeat, de la réponse que lui a adressée ce dernier –indiquant qu’il allait enjoindre le responsable du site de supprimer le fil de discussion “Claire C” -, de la suppression effectivement intervenue aussitôt après ces diligences, du contenu du message en retour reçu par les conseils de la partie civile faisant état d’une “mesure de faveur” et d’une éventuelle reprise des “ragots” “à tout moment” comme d’ailleurs de la mise en ligne sur mixbeat de la requête aux fins d’indentification du responsable du site dont la partie civile avait saisi la justice, que son directeur de la publication ne pouvait ignorer la nature des messages alors visés qui figuraient sur ce fil de discussion”.

Mise ne perspective avec la remarque préalable du TGI selon laquelle “une deuxième mise en ligne d’un même message précédemment publié mais qui avait été supprimé ou mis hors ligne durant plusieurs semaine constitue un nouvel acte de publication, faisant courir un nouveau délai de prescription de trois mois durant lequel les auteurs et complices peuvent voir leur responsabilité engagée”, on comprend que les juges parisiens sanctionnent le directeur de la publication au titre du délit de diffamation du fait de sa connaissance du contenu avant sa (re)mise en ligne. Cette solution, justifiée en apparence, soulève toutefois nombre d’incertitudes et d’incohérences.

…vers une forêt d’incertitudes et d’incohérences

Eu égard à l’incertitude qui entoure la définition de la notion de publication, il paraît difficile d’approuver ou de contester la décision du tribunal. Cette difficulté semble néanmoins pouvoir être contournée avec comme contrepartie la mise en évidence de l’incohérence de l’insertion de l’article 93-3 alinéa 5 dans notre arsenal juridique.

L’incertitude de la notion de publication

Qui dit infraction de presse, dit également délai de prescription de trois mois. Cette règle spéciale, qui trouve sa justification dans l’équilibre entre liberté d’expression et sanction de l’abus de cette liberté, est transposable à la communication au public en ligne depuis l’intervention du législateur en 2004 par l’entremise de la LCEN[10]. Qu’il s’agisse d’une publication sur internet ou selon un mode plus “traditionnel”, la formule consacrée reste d’actualité : la publication fait le délit. Par conséquent, en tant qu’infraction instantanée, la prescription de l’infraction de presse court entre le jour de la mise à disposition du public[11] et l’acte de manifestation de volonté de la victime de poursuivre l’infraction[12].

Appliquée aux faits d’espèce, la question se pose de la qualification en tant que “publication” de la seconde mise à disposition, qui permettrait ainsi de faire courir un nouveau délai de prescription de trois mois. Si l’on en croit le TGI, la réponse est sans équivoque puisque les juges considèrent qu’”une deuxième mise en ligne d’un même message précédemment publié mais qui avait été supprimé ou mis hors ligne durant plusieurs semaine constitue un nouvel acte de publication, faisant courir un nouveau délai de prescription de trois mois durant lequel les auteurs et complices peuvent voir leur responsabilité engagée”. Le tribunal avait d’ailleurs été précédé dans son raisonnement par une doctrine très autorisée en la matière, qui considérait que “pour le net, il importe peu que le message litigieux soit alors resté accessible dans des termes identiques. Il suffit que son auteur ait entendu rééditer la page sur laquelle il figure pour qu’on considère qu’il a consciemment renouvelé sa volonté de publier[13]. La seconde mise à disposition du public permettrait donc bien de faire courir un nouveau délai de prescription.

Pourtant, la décision de la Cour de cassation sur laquelle s’appuie ce commentaire ne semble pas aussi explicite. Dans cette affaire, les hauts magistrats considèrent que “lorsque des poursuites pour l’une des infractions prévues par la loi précitées sont engagées en raison de diffusion, sur le réseau internet, d’un message figurant sur un site, le point de départ du délai de prescription de l’action publique prévu par l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 doit être fixé à la date du premier acte de publication ; que cette date est celle à laquelle le message a été mis pour la première fois à la disposition du public[14]. À s’en tenir à la lettre de cet attendu, la notion de “publication” ne dépendrait nullement d’une conscience de publier mais découlerait simplement de considérations chronologiques, i.e. la première mise à disposition. Peu importe que la seconde mise à disposition soit ou non qualifiée de publication, ce qui déclenche le délai de prescription est la première rencontre du public avec le contenu. Il n’en reste pas moins que cette jurisprudence constante de la Cour de cassation est en opposition avec les décisions des juges du fond. En effet, ainsi que le relève Agathe Lepage, qui considère que les juges du fond font preuve de “psychologie judiciaire[15], si “cette règle est aujourd’hui largement diffusée dans les décisions” du fond, sa mise en œuvre “peut être à géométrie extrêmement variable selon l’interprétation que fait le juge de la notion de publication[16]. Ainsi dans l’arrêt précité, la Cour de cassation eut l’occasion de sanctionner l’arrêt d’appel qui assimilait à un nouvel acte de publication le fait d’avoir créé un nouveau mode d’accès à son site[17]. Elle eut également l’occasion de casser un arrêt d’appel qui considérait la mise à jour d’un site internet comme un nouvel acte de publication[18]. La question de la définition de la notion de publication marque donc une forte opposition entre les juges du fond et la Cour de cassation.

Certes, on pourrait imaginer justifier le raisonnement des juges du fond en se fondant sur les possibilités d’interruption ou de suspension du délai de prescription, mais sans que les critères permettant d’invoquer ces mécanismes ne puissent être caractérisés. En effet, l’acte interruptif de prescription est conditionné par la démonstration d’une manifestation de volonté de poursuivre l’infraction. À ce titre, la dénonciation du contenu litigieux à l’éditeur de service de communication au public en ligne ne peut, par exemple, être considérée comme un acte interruptif de prescription. En dénonçant un contenu qu’elle considère comme diffamatoire, la victime ne marque absolument pas sa volonté de poursuivre le directeur de la publication au titre de cette infraction de presse. Au contraire, cette saisine ne vise qu’à faire retirer le contenu faisant du directeur de la publication non pas un responsable de l’infraction de presse mais un collaborateur des pouvoirs publics afin de faire cesser au plus vite l’atteinte. En d’autres termes, permettre au directeur de la publication de prendre connaissance d’un contenu litigieux ne manifeste pas, en théorie, une volonté de poursuivre l’acte de diffamation. Considérer cela ne reviendrait-il d’ailleurs pas à négliger la lettre de l’article 65 alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881 selon lequel, “avant l’engagement des poursuites, seules les réquisitions aux fins d’enquête seront interruptives de prescription[19] ?

De même, le fait de retirer un contenu pour mieux le remettre à disposition du public ne peut a priori suspendre le délai de prescription, la suspension intervenant plus en fonction de la qualité de la personne (cas d’un parlementaire par exemple)[20] qu’en fonction de la connaissance du contenu. À toutes fins utiles, signalons qu’il est également difficile de considérer que cette seconde mise à disposition puisse constituer une réitération des propos, cette possibilité étant subordonnée au fait qu’un juge se soit préalablement prononcé sur le caractère diffamatoire des propos litigieux[21].

Cependant, il faut bien avouer qu’adhérer à l’interprétation de la Cour de cassation peut aboutir à des situations moralement discutables. Dès lors qu’un directeur de la publication serait informé d’un contenu litigieux posté par un internaute dans un espace de contribution personnelle et violant les dispositions de la loi du 29 juillet 1881, il aurait tout le loisir de le retirer, et d’attendre que trois mois s’écoulent à compter de la première mise à disposition avant de le remettre à nouveau à disposition du public. De cette manière, les faits seraient prescrits et sa responsabilité, même en cas de connaissance avérée du contenu, ne pourrait être retenue. Face à cette incohérence qui découle directement du nouveau régime de responsabilité de l’article 93-3, des solutions semblent néanmoins envisageables.

L’incohérence de l’article 93-3 al.5

Sans revenir sur les critiques qui ont déjà été formulées par d’autres commentateurs[22], soulignons toutefois que la superposition de l’article 93-3 alinéa 5 avec l’article 6-I-3 peut apparaître comme dangereuse.

Dangereuse tout d’abord pour les victimes d’infractions pénales qui diffèrent des infractions de presse. En effet, si l’on considère à la manière d’Emmanuel Dreyer que la responsabilité pénale découlant de l’article 6-I-3 ne pourrait nullement servir dans les prétoires à responsabiliser les hébergeurs qui ne retireraient pas promptement un contenu[23], il est possible d’imaginer que les éditeurs de service de communication au public en ligne aient une réactivité plus conséquente en ce qui concerne les infractions de presse que concernant des contenus plus…manifestement illicites. En tout état de cause, si la finalité de cette loi était de pallier l’irresponsabilité pénale des hébergeurs, son but n’est atteint que de manière très parcellaire.

Dangereuse ensuite pour tous les partisans de la liberté d’expression. En effet, en ne distinguant pas selon que le contenu est ou non manifestement illicite, c’est-à-dire en obligeant l’éditeur de service de communication au public en ligne à retirer sans attendre de réponse judiciaire sur l’illicéité de l’acte, il est loisible de penser que certains contenus licites seront retirés de la toile sur l’expression d’une simple volonté particulière. Il eut été plus sage d’intégrer la notion de manifestement illicite dans la loi et, partant, de profiter de l’occasion pour définir cette notion encore trop obscure. À ce titre, la loi HADOPI est un acte manqué.

Outre les incohérences déjà relevées, propre à une loi élaborée somme toute trop rapidement, c’est surtout l’inutilité de ce texte qu’il faut remarquer. Les mécanismes de la LCEN auraient tout lieu de s’appliquer et, interprétés conformément à la lettre du texte, permettraient de passer outre l’énigme de la notion de publication en droit de la presse.

Plaçons-nous pour en faire la démonstration avant l’entrée en vigueur de l’article 93-3 alinéa 5. Un site internet de presse traditionnelle qui met à disposition de ses internautes un espace de contribution personnelle est une personne qui assure le stockage de données fournies par des destinataires du service pour mise à disposition du public. En cela il répond aux conditions de l’article 6-I-2 de la LCEN et doit bénéficier du régime de responsabilité correspondant[24].

Conformément à la décision du conseil constitutionnel du 10 juin 2004, sa responsabilité ne devrait être retenue que si un juge lui a indiqué qu’un contenu était illicite ou si, informé par une victime, l’hébergeur ne retire pas promptement un contenu qualifié de manifestement illicite[25]. La stricte application de cette grille de lecture - qui n’est pas partagée par les juges du fond, lesquels considèrent la procédure de notification comme une condition suffisante pour caractériser la connaissance de l’illicéité par l’hébergeur - permettrait pourtant de passer outre le débat sur la notion de publication.

En effet, face à un contenu diffamatoire posté par un internaute sur un service de communication public en ligne, les plaideurs pourraient saisir le juge sur le fondement de l’article 6-I-8 autrement appelé “référé LCEN”. Ils pourraient ainsi demander rapidement au juge d’imposer le retrait d’un contenu à l’hébergeur. Cerise sur le gâteau, les victimes pourraient profiter de la lettre de l’article 6-I-7 de la LCEN, prohibant certes l’obligation générale de surveillance, mais, permettant également à l’autorité judiciaire de prononcer une obligation particulière de surveillance de manière ciblée et temporaire[26]. Ainsi, tout éditeur de service de communication au public en ligne permettant à ses internautes de poster des contenus sur des espaces de contribution personnelle – ou autrement appelé hébergeur – serait responsable du contenu remis en ligne considéré préalablement comme illicite au titre d’un manquement à son obligation particulière de surveillance, sans que l’on s’inquiète du fait que la seconde mise à disposition puisse ou non être qualifiée d’acte de publication.

N. B. : cet article a fait l’objet d’une publication à la RLDI 2009/55, p. 30-34, et est mis en ligne sur ces pages avec l’aimable autorisation de l’éditeur précité, que l’auteur remercie chaleureusement à cet égard.

Notes

[1] Soulignons que ces dispositions ont été complétées, clarifiées par le décret n° 2009-1340 du 29 octobre 2009 pris pour application de l’article 1er de la loi n° 86-897 du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse.

[2] i.e. les infractions de presse.

[3] Une personne n’agissant pas sous le contrôle et l’autorité du directeur de la publication.

[4] Qui, depuis la loi n° 2009-258 du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision, appartiennent à la catégorie des communications audiovisuelles, peu important que les contenus soient communiqués de point à point.

[5] Lionel Thoumyre, Première application de l’art. 93-3 al. 5 de la loi du 29 juillet 1982 : quels risques pour les gestionnaires de plateformes 2.0 ?, Juriscom.net, 28 octobre 2009.

[6] V. Lamy Médias et communication, n°212-16.

[7] Loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle, art. 93-3 al. 1.

[8] Loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle, art. 93-3 al. 5.

[9] Il est à noter qu’il n’existe pas de pendant de la procédure de notification prévue par l’article 6-I-5 de la LCEN concernant le régime de responsabilité mise en place par l’article 93-3 al. 5.

[10] cf. art. 6-V, selon lequel “les dispositions des chapitres IV et V de la loi du 29 juillet 1881 précitée sont applicables aux services de communication au public en ligne et la prescription acquise dans les conditions prévues par l’article 65 de ladite loi”.

[11] Ce qui fait de l’infraction de presse un délit instantané, ainsi que le confirme la Cour de cassation : Cass. Crim., 27 novembre 2001, D. 2001, p.18-33, note E. Dreyer.

[12] Voir par exemple : Cass. Crim., 17 juin 2008, pourvoi n°07-86330.

[13] B. Ader, La modification d’une adresse URL pour accéder à un site internet existant ne caractérise pas un nouvel acte de publication, Légipresse n°259, mars 2009, p.41.

[14] Cass. Crim., 6 janvier 2009, pourvoi n°05-83491.

[15] C. Pigache, La prescription pénale, instrument de politique criminelle : Rev. sc. crim. 1983, p.55, sp. 57, propos rapportés par A. Lepage, Prescription des infractions de presse sur internet : jurisprudence constante de la Cour de cassation sur le point de départ de la prescription et précision sur le nouvel acte de publication, CCE, mars 2009, comm. 28.

[16] A. Lepage, op. cit.

[17] CA Paris 29 janvier 2004, Légipresse 2004, n°210, III, p.50.

[18] Cass. Crim., 19 septembre 2006, pourvoi n°05-87230.

[19] Sur ce point, voir E. Dreyer, Prescription, Juris-Classeur Communication, Fasc. 3040.

[20] Ibid.

[21] Ibid. Ce qui ne peut être le cas dès lors que le fait générateur de responsabilité de l’article 93-3 alinéa 5 réside dans la seule connaissance du contenu litigieux et non de son illicéité qui, en matière d’infraction de presse, ne peut être que constatée par un juge.

[22] L. Thoumyre, op.cit.

[23] E. Dreyer, Interrogations sur la responsabilité pénale des fournisseurs d’hébergement, Légipresse 2004, n°212, I, p.89.

[24] Art. 6-I-3 concernant la responsabilité pénale.

[25] Ce qui ne peut être le cas de la diffamation, les possibilités d’exonération de responsabilité au travers de la bonne foi ou de l’exception de vérité impliquant nécessairement une intervention du juge.

[26] Sur cette question, voir R. Hardouin, La jurisprudence, les textes et la responsabilité des hébergeurs, RLDI 2008/39, p.67.