Issu des États généraux de la presse, l’amendement n°201 rectificatif au projet dit « HADOPI » est venu y ajouter un douzième article, adopté dans l’indifférence générale, puisqu’il ne concerne ni les titulaires de droits de propriété intellectuelle, ni les consommateurs.

Cet amendement poursuit la double ambition de créer un statut d’éditeur professionnel de presse en ligne, et d’adapter le régime de responsabilité de ces derniers. Pour s’en tenir au premier objectif, ce nouvel acteur de l’économie numérique que serait l’ « éditeur d’un service de presse en ligne » serait défini à l’article 1 – modifié - de la loi n° 86-897 du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse :

On entend par service de presse en ligne tout service de communication au public en ligne édité à titre professionnel par une personne physique ou morale qui a la maîtrise éditoriale de son contenu, consistant en la production et la mise à disposition du public d’un contenu original, d’intérêt général, renouvelé régulièrement, composé d’informations présentant un lien avec l’actualité et ayant fait l’objet d’un traitement à caractère journalistique, qui ne constitue pas un outil de promotion ou un accessoire d’une activité industrielle ou commerciale.
Un décret précise les conditions dans lesquelles un service de presse en ligne peut être reconnu, en vue notamment de bénéficier des avantages qui s’y attachent. Pour les services de presse en ligne présentant un caractère d’information politique et générale, cette reconnaissance implique l’emploi, à titre régulier, d’au moins un journaliste professionnel au sens de l’article L. 7111-3 du code du travail.

La première partie du futur article 12 du projet « HADOPI » propose donc différents critères permettant d’identifier les sites internet des organes de presse, afin que ces derniers aient « ultérieurement l’accès (…) au régime des provisions pour investissements et à l’exonération de taxe professionnelle »[1]. Reste à savoir, alors, comment reconnaître l’éditeur de service de presse en ligne.

Il est défini comme étant la personne qui produit et met à disposition, à titre professionnel, certains contenus. Ce critère de « production » de contenus, applicable à l’éditeur de presse, l’est en réalité tout autant à l’éditeur de contenus en général. En effet, s’il n’existe pas, dans d’autres lois, de définition univoque de l’éditeur, au sens traditionnel du terme, l’examen du traitement légal qui lui est réservé dans différents domaines du droit démontre qu’il s’agit toujours d’une personne dont la fonction est de communiquer au public un contenu créé pour son compte et ou sous son contrôle[2]. L’article 12 du projet de loi « HADOPI » a donc le mérite d’énoncer un critère de qualification de l’éditeur de contenus que la jurisprudence tarde à dégager avec précision[3] : il s’agit de la personne qui produit les données qu’il met à la disposition des internautes.

Par ailleurs, en énonçant qu’un service de presse en ligne est « tout service de communication au public en ligne édité à titre professionnel », l’amendement suggère, à première vue, que l’éditeur de presse - par nature éditeur de contenu - étant ainsi un éditeur de service de communication au public en ligne, ce dernier serait lui-même, réciproquement, un éditeur de contenu. Mais le texte ajoute, pour qualifier l’éditeur de presse en ligne, qu’il doit avoir « la maîtrise éditoriale de son contenu », cette maîtrise étant elle-même définie comme « la production et la mise à disposition du public d’un contenu ». Or, à partir du moment où ce critère de « production » distingue l’éditeur de presse des autres éditeurs de services de communication au public en ligne, et une fois rappelé que ce critère est aussi celui qui définit l’éditeur de contenus, c’est donc que tous les éditeurs de service de presse en ligne ne sont pas nécessairement des éditeurs de contenus. A défaut, le critère de production énoncé par l’amendement serait superflu.

L’intérêt de cet amendement dépasse donc le seul cadre de la presse en ligne, en mettant à mal l’assimilation usuellement retenue de l’éditeur de service de communication au public en ligne à l’éditeur de contenus[4] : ce dernier, à l’instar de l’éditeur d’un service de presse en ligne, n’est qu’une variété de la notion cadre d’éditeur de service de communication au public en ligne, qui englobe également les hébergeurs[5].

Au sein de la famille des éditeurs de services de communication au public en ligne, l’éditeur d’un service de presse en ligne rejoint donc le sous-ensemble des éditeurs de contenus. Reste alors à reprendre les nouvelles conditions légales permettant de l’en distinguer. Le premier critère énoncé par la loi a trait au caractère professionnel de l’activité a pour vocation, selon l’exposé des motifs, « d’exclure les sites Internet personnels et les blogs ». Sept autres conditions viennent ensuite compliquer l’exercice de qualification :

  • positivement, le contenu doit être « original, d’intérêt général, renouvelé régulièrement, composé d’informations présentant un lien avec l’actualité et ayant fait l’objet d’un traitement à caractère journalistique » ;
  • négativement, le service de presse - ou le contenu publié (on ne sait guère) - ne doit pas constituer « un outil de promotion ou un accessoire d’une activité industrielle ou commerciale ».

Des cinq conditions positives, une seule est à peu près objective (la fréquence de renouvellement du contenu), et donc applicable de façon uniforme sur le territoire. En revanche, les quatre autres laissent une marge d’appréciation particulièrement large à chacun. Par exemple, un site consacré à l’actualité people relève-t-il de l’intérêt général ? Les publications du site internet du magazine L’Histoire présentent-elles un lien avec l’actualité ? Et qu’est-ce qu’un contenu « ayant fait l’objet d’un traitement à caractère journalistique » ?

On objectera à ce procès en imprécision qu’au-delà de la lettre, la volonté bien comprise du texte est de décrire les sites internet des titres de presse disponibles en kiosque. Mais il n’est pas certain que le vœu ainsi subodoré résiste aux conditions négatives du texte. Ainsi, qu’est-ce qu’un service de presse ou un contenu « accessoire d’une activité industrielle ou commerciale » ? Après tout, les éditeurs de presse « papier » ont une activité commerciale dont le site internet peut être considéré comme un accessoire, voire un outil de promotion. Le cas échéant, il n’y aurait que les pure player de l’information sur internet qui pourraient se prétendre « éditeur d’un service de presse en ligne ».

L’exposé des motifs témoigne d’ailleurs, peut-être, d’une certaine conscience des imperfections du texte, lorsqu’il précise qu’un décret fixera « les modes de reconnaissance des services de presse en ligne par la Commission paritaire des publications et agences de presse ». En clair, Dieu reconnaîtra les siens, et qu’importe si la loi est approximative, tout du moins jusqu’au premier contentieux né d’un recours contre une décision de la commission précitée, refusant à tel ou tel la qualité d’éditeur de presse en ligne…

Notes

[1] Exposé sommaire des motifs.

[2] cf. E. Mille et R. Hardouin, Qu’est-ce qu’un éditeur de service de communication au public en ligne ?.

[3] Une ordonnance récente de la présidence du TGI de Paris retient d’ailleurs une analyse voisine, en considérant que l’éditeur serait la personne intervenant « de quelque manière que ce soit » dans la création d’un contenu, avant sa mise en ligne ».

[4] En ce sens, cf. P. Mimja, sur Juriscom, dont l’analyse demeure critiquable, en ce qu’elle opère une assimilation de l’éditeur de service de communication au public en ligne au destinataire de ce service, à partir d’une confusion entre les différentes catégories de données d’identification devant être collectées ou fournies par tel ou tel, selon les dispositions de la LCEN.

[5] En effet, la définition légale de la communication au public en ligne, soit « toute transmission, sur demande individuelle, de données numériques n’ayant pas un caractère de correspondance privée, par un procédé de communication électronique permettant un échange réciproque d’information entre l’émetteur et le récepteur », ne s’intéresse nullement à l’origine du contenu communiqué. Dès lors, une communication au public en ligne est aussi bien le fait de mettre à disposition des internautes un contenu propre qu’un contenu fourni par des tiers, cette dernière hypothèse correspondant à une prestation d’hébergement. Un service d’hébergement est donc un « service de communication au public en ligne ». cf. E. Mille et R. Hardouin, op. cit. En sens contraire, cf. P. Mimia, op. cit.