N° de pourvoi: 90-17534
Publié au bulletin

REJET

M. Massip, conseiller doyen faisant fonction, président
M. Grégoire, conseiller rapporteur
Mme Flipo, avocat général
M. Parmentier, la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Sur les quatre moyens réunis, pris en leurs diverses branches :

Attendu, selon l’arrêt infirmatif attaqué (Paris, 15 mai 1990), que la société Bull a fait édifier par M. Bonnier, architecte, un immeuble dont le rez-de-chaussée comprenait un vaste “foyer” de 700 m2, surmonté d’une verrière, servant d’accès au bâtiment et de lieu de circulation ; qu’en 1987, souhaitant installer de nouveaux services dans ces locaux, la société Bull a prélevé sur le foyer un espace de 140 m2, qu’elle a fait cloisonner pour aménager deux salles de démonstrations ; que M. Bonnier, soutenant que ces modifications dénaturaient son œuvre et portaient atteinte à son droit moral d’auteur, en a réclamé la suppression ; que la cour d’appel l’a débouté de sa demande ;

Attendu que M. Bonnier fait, en premier lieu, grief à l’arrêt de retenir qu’en s’engageant à réaliser un bâtiment dont il connaissait la destination utilitaire, l’architecte s’est engagé par là même à subir toutes les modifications futures imposées par cette destination, de tels motifs aboutissant, selon le moyen, à dénier en principe à l’architecte le droit, consacré par l’article 6 de la loi du 11 mars 1957, d’invoquer contre le propriétaire de l’ouvrage le respect de son œuvre ; qu’il soutient, en second lieu, que la cour d’appel a méconnu le principe, retenu par les juges du premier degré, selon lequel l’exercice des droits du propriétaire avait pour limite nécessaire une dénaturation de l’œuvre de l’architecte, et qu’elle a en conséquence omis de rechercher, comme elle devait le faire, si une telle dénaturation ne résultait pas des modifications apportées par la société Bull à l’œuvre de M. Bonnier ; que M. Bonnier soutient, en un troisième moyen, que l’arrêt viole encore l’article 6 de la loi du 11 mars 1957 en refusant de reconnaître que le droit moral de l’auteur est à la fois inaliénable et discrétionnaire ; que selon le quatrième moyen, la cour d’appel aurait également violé l’article 544 du Code civil en retenant que le droit moral de l’auteur, pourtant institué par la loi, ne pouvait constituer une limite à l’usage du droit de propriété ; qu’elle aurait enfin privé sa décision de base légale au regard du même texte en ne recherchant pas si la solution différente proposée par M. Bonnier n’était pas de nature à satisfaire les besoins de la société Bull ;

Mais attendu que l’arrêt énonce avec raison que la vocation utilitaire du bâtiment commandé à un architecte interdit à celui-ci de prétendre imposer une intangibilité absolue de son œuvre, à laquelle son propriétaire est en droit d’apporter des modifications lorsque se révèle la nécessité de l’adapter à des besoins nouveaux ; qu’il appartient néanmoins à l’autorité judiciaire d’apprécier si ces altérations de l’œuvre architecturale sont légitimées, eu égard à leur nature et à leur importance, par les circonstances qui ont contraint le propriétaire à y procéder ;

Attendu qu’en l’espèce, ayant souverainement relevé, d’une part, que la situation commerciale de la société Bull avait rendu indispensables et urgents les travaux incriminés, et, d’autre part, que la création des deux salles nouvelles était “aussi peu perceptible que possible” et préservait notamment la vue sur l’extérieur, la cour d’appel, tenue d’établir un équilibre entre les prérogatives du droit d’auteur et celles du droit de propriété, a pu estimer que ces travaux ne portaient pas une atteinte suffisamment grave à l’œuvre de M. Bonnier pour justifier la condamnation sollicitée ; que par ces motifs, qui écartent implicitement les griefs formulés par les troisième et quatrième moyens, l’arrêt est légalement justifié ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi