N° de pourvoi : 13-27391
Publié au bulletin

CASSATION

Mme Batut, président
M. Girardet, conseiller rapporteur
M. Cailliau, avocat général
SCP Bénabent et Jéhannin, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. X…, auteur de trois photographies dont il a découvert que des reproductions avaient été intégrées, sans son autorisation, dans plusieurs oeuvres de M. Y…, artiste peintre, a assigné celui-ci en contrefaçon de ses droits d’auteur ;

Sur le moyen unique, pris en ses trois premières branches :

Attendu que M. Y. fait grief à l’arrêt de le condamner à payer à M. X. la somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant des atteintes portées à ses droits patrimoniaux et à son droit moral d’auteur, alors, selon le moyen :

1°/ qu’une oeuvre n’est originale que lorsqu’elle porte l’empreinte de la personnalité de son auteur, indépendamment de son caractère nouveau ; qu’en déduisant l’originalité des photographies revendiquées par M. X. du fait qu’elles présentaient « une physionomie propre qui les distinguaient des autres photographies du même genre », la cour d’appel, qui a fondé sa décision sur l’aspect nouveau des clichés quand il lui appartenait de caractériser en quoi ils aurait été empreints de la personnalité de leur auteur, a violé les articles L. 111-1 et L. 112-2 du code de la propriété intellectuelle ;

2°/ qu’une oeuvre n’est originale que lorsqu’elle porte l’empreinte de la personnalité de son auteur, indépendamment de son caractère nouveau ; qu’en l’espèce, pour écarter le moyen soulevé par M. Y. faisant valoir que les clichés litigieux s’inscrivaient dans le genre photographique « glamour » et ne portaient donc pas l’empreinte de la personnalité de leur auteur, la cour d’appel a affirmé que les visuels produits par M. Y. à l’appui de sa démonstration, étaient « postérieurs aux faits reprochés » et s’avéraient ainsi « dénués de pertinence au regard de la date, antérieure, de publication des photographies opposées » ; qu’en statuant ainsi, par des motifs traduisant une recherche d’antériorité, inopérante en matière de droit d’auteur, la cour d’appel a violé les articles L. 111-1 et L. 112-2 du code de la propriété intellectuelle ;

3°/ qu’une oeuvre n’est originale que lorsqu’elle porte l’empreinte de la personnalité de son auteur ; que l’originalité ne peut être déduite du seul fait que sa réalisation a nécessité des choix, aussi arbitraires soient-ils, de la part de l’auteur ; qu’en affirmant, pour retenir que les photographies litigieuses auraient été protégeables au titre du droit d’auteur, que les « choix » opérés par M. X. traduisaient « un réel parti-pris esthétique », sans expliquer en quoi ces choix, pour arbitraires qu’ils aient pu être, manifesteraient l’empreinte de la personnalité de leur auteur, la cour d’appel a derechef privé sa décision de base légale au regard des articles L. 111-1 et L. 112-2 du code de la propriété intellectuelle ;

Mais attendu qu’après avoir constaté que les trois oeuvres de M. X. étaient caractérisées par la présentation, en oblique, d’un visage féminin, très pâle, émergeant d’une abondante chevelure sombre, bouclée, faisant ressortir des touches de vives couleurs et que l’attention était attirée soit sur les lèvres maquillées du mannequin aux yeux clos évoquant le sommeil soit sur son regard en coin, fixe, s’imposant quoique les yeux soient à peine entrouverts, la cour d’appel en a souverainement déduit que ces choix, librement opérés, traduisaient, au-delà du savoir-faire d’un professionnel de la photographie, une démarche propre à son auteur qui portait l’empreinte de la personnalité de celui-ci ; que le moyen ne peut être accueilli ;

Mais sur la quatrième branche du moyen :

Vu l’article 10 § 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Attendu que, pour écarter le moyen tiré d’une atteinte à la liberté d’expression artistique de M. Y. et le condamner à réparer le préjudice résultant d’atteintes portées aux droits patrimoniaux et moral de M. X., l’arrêt retient que les droits sur des oeuvres arguées de contrefaçon ne sauraient, faute d’intérêt supérieur, l’emporter sur ceux des oeuvres dont celles-ci sont dérivées, sauf à méconnaître le droit à la protection des droits d’autrui en matière de création artistique ;

Qu’en se déterminant ainsi, sans expliquer de façon concrète en quoi la recherche d’un juste équilibre entre les droits en présence commandait la condamnation qu’elle prononçait, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les branches du moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 18 septembre 2013, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Versailles ;

Condamne M. X. aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze mai deux mille quinze.