N° de pourvoi: 68-14189
Publié au bulletin

REJET

M. Aydalot, président
M. Barrau, conseiller rapporteur
M. Gégout, avocat général
Demandeur M. Copper-Royer, avocat(s)

République française

Au nom du peuple français

Sur le premier moyen, pris en ses trois branches :

Attendu qu’il résulte des énonciations des juges du fond qu’en 1960, lors d’un pèlerinage des gitans aux Saintes-Maries-de-la-Mer, Ballardo dit Manitas de Plata, a interprété à la guitare un certain nombre d’airs de musique qui furent aussitôt enregistrés par les préposés de la société Paris-Records, éditant les disques “Président” ; qu’en juillet 1964 le disque réalisé à partir de cet enregistrement fut fabriqué par la societe Stereo-Press et mis en vente par Paris-Records, sans l’autorisation de Manitas de Plata ; que celui-ci fit alors procéder a une saisie-contrefacon et assigna les deux sociétés en dommages-intérêts et en destruction des exemplaires et matériels contrefaisants ;

Attendu qu’il est reproché à la cour d’appel d’avoir fait droit à cette demande, alors, selon le pourvoi, qu’il résultait d’une expertise ordonnée dans une autre instance, que les oeuvres musicales de Manitas de Plata auraient présenté le caractère d’une création personnelle, alors qu’une expertise n’est opposable à une partie qu’autant que celle-ci y a été appelée ou représentée, alors que les résultats de l’expertise retenue n’etaient pas corroborés par d’autres éléments, alors enfin que ladite expertise avait un objet complètement étranger à la presente instance ;

Mais attendu qu’il apparait des termes mêmes de l’arrêt que le document critiqué n’a été qu’un élément d’appréciation parmi ceux “versés et discutés aux débats” et que si l’expertise en question était intervenue dans un procès différent “il y était débattu la même question de savoir si la qualité d’auteur peut être reconnue à Manitas de Plata” ;

Qu’ainsi le moyen est sans fondement ;

Sur le deuxième moyen, pris en ses diverses branches :

Attendu qu’il est encore soutenu que la cour d’appel aurait reconnu, à tort, à Manitas de Plata la qualité d’auteur alors que ses oeuvres musicales ne se distingueraient d’une autre oeuvre, en l’espèce le flamenco, que par des variantes ou des différences de détail ; que les juges du fond avaient eux mêmes reconnu que les morceaux de musique de Manitas de Plata étaient exécutés sur la base de formules rythmiques particulières à la musique de danse folklorique et populaire espagnole ; que la mélodie et le rythme constituant les éléments essentiels d’une oeuvre musicale, il ressortirait des constatations mêmes de l’arrêt que l’oeuvre de Manitas de Plata ne présentait pas un caractère original, alors enfin que la cour d’appel eût dû comme l’y invitaient les demanderesses au pourvoi analyser l’enregistrement litigieux et rechercher s’il portait ou non l’empreinte d’une personnalité créatrice ;

Mais attendu que l’arrêt attaqué déclare “que si la musique exécutée par Manitas de Plata prend son inspiration dans des succédanés de l’ancien canto jondo, chant primitif andalou, auxquels appartiennent la plupart des chants flamencos qui sont devenus des chants populaires espagnols, elle n’est pas la reproduction intégrale et servile d’airs populaires ou folkloriques” ; que l’arret ajoute : “que Manitas de Plata assortit d’un accompagnement qui est son oeuvre personnelle les morceaux qu’il exécute” et qu’il crée même “de toute pièce” des fandangos chants et danses gitans ; qu’enfin “ses exécutions procèdent d’un perpetuel renouvellement dans le style qui lui convient” ;

Attendu qu’ayant ainsi nécessairement admis que l’oeuvre de Manitas de Plata, traitée par son auteur suivant son tempérament et son style propre qui en font une composition véritable, présentait un caractère original, les juges d’appel ont décidé “qu’elle réalisait une création personnelle” ; que cette appréciation est souveraine et échappe au contrôle de la Cour de cassation ; d’où il suit que le moyen doit être écarté ;

Sur le troisième moyen :

Attendu qu’il est encore fait grief à la cour d’appel d’avoir rejeté les conclusions de la société Paris-Records tendant à voir juger que Manitas de Plata lui avait concédé le droit d’enregistrer en vue de les reproduire par disques les airs de musique litigieux, aux motifs qu’aux termes de l’article 31 de la loi du 11 mars 1957, le contrat d’édition doit être constaté par écrit, alors que cette formalité n’est pas obligatoire en ce qui concerne la convention ayant seulement pour objet la reproduction mécanique d’une oeuvre musicale ainsi que la société l’aurait fait valoir dans ses conclusions dénaturées par l’arrêt ;

Mais attendu qu’il résulte des conclusions de la société Paris-Records, que celle-ci n’a pas entendu se placer uniquement sur le terrain du droit de reproduction prévu par l’article 28 de la loi, pour soutenir qu’elle n’avait eu en vue qu’une simple reproduction mécanique de l’enregistrement par disques, sans la faire suivre d’une divulgation commerciale de ces disques ;

Qu’ainsi, l’arrêt attaqué a pu décider sans dénaturation “qu’aucun écrit n’existait entre les parties pour l’édition de l’oeuvre par disques” ;

Que le moyen est donc sans fondement ;

sur le quatrième moyen :

Attendu qu’il est enfin vainement prétendu qu’en condamnant la société Stereo-Press in solidum avec la société Paris-Records, les juges d’appel n’auraient pas répondu à ses conclusions faisant valoir qu’elle “s’était bornée à presser le disque litigieux en exécution d’une commande de la société Paris-Records” ;

Qu’en effet la bonne foi qui peut exonérer le contrefacteur de sa responsabilité ne se présumant pas, les juges du fond ont, en statuant ainsi, implicitement mais nécessairement admis que la société Stéréo-Press avait agi en violation des droits d’auteur de Manitas de Plata et répondu ainsi en les rejetant aux conclusions prétendument délaissées ;

D’ou il suit que le moyen n’est pas mieux fondé que les précédents ;

Par ces motifs :

Rejette le pourvoi forme contre l’arrêt rendu, le 1er juillet 1968, par la cour d’appel de Paris